Entretien avec l’auteure Isabelle Loredan

3ème partie de notre série d’entretiens avec différents auteurs portés sur l’érotisme littéraire. Cette semaine, faisons connaissance avec Isabelle Loredan.

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THÉO KOSMA – Il me semble que vous aimez « jouer » avec le lecteur, en entretenant l’ambiguïté quant à la véracité, supposée ou avérée de certains de vos écrits. Pourquoi donc ?… Et surtout… qu’en est-il au juste ? 🙂

ISABELLE LOREDAN – Je n’ai pas choisi cela, je l’ai adopté après avoir essuyé un nombre incalculable de fois la question récurrente des journalistes : ce que vous écrivez est-il le reflet de votre vie ? Il semble qu’avec la littérature érotique, il y a un besoin d’identifier l’auteur à ses écrits. Est-ce là une dérive de la télé-réalité qui déborderait sur la littérature ? On retrouve ce questionnement dans le dernier roman de Delphine de Vigan « D’après une histoire vraie ». En quoi un texte est-il meilleur s’il est issu de la réalité ? En rien… C’est, de mon point de vue, une curiosité relativement malsaine dont jouent certains auteurs qui revendiquent clairement cette réalité dans leurs quatrième de couverture.
Et puis soyons clairs, demande-t-on à un auteur de polars si il a déjà assassiné quelqu’un ? C’est ridicule.
Pour conclure, je suis auteure et ne suis pas prête à me prostituer pour vendre des bouquins. Un bon texte n’a pas besoin de cela pour trouver son public.

THÉO KOSMA – Que pensez-vous des écrits « blockbusters » modernes, qu’ils soient partiellement ou totalement orientés érotisme ?

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ISABELLE LOREDAN – Je suppose que vous voulez parler des romances épicées qui envahissent tout depuis le succès des 50 nuances de… Je n’aurais rien contre si elles n’aboutissaient pas à la disparition quasi totale de littérature réellement érotique des rayons des librairies. J’ai fait le constat récemment, on ne trouve plus que cela et du Harlequin (notez que je n’ai rien contre cette maison, j’ai moi-même eu un texte édité en numérique chez HQN). Ce qui m’irrite, c’est l’uniformisation qui s’installe, le sirupeux qui englue la littérature. Et puis l’appauvrissement des sujets, puisque toutes ces romances reprennent peu ou prou le même schéma de la jeune fille pure et naïve et du riche milliardaire… On est très loin de la traditionnelle transgression que véhiculaient les classiques du registre érotique.

THÉO KOSMA – Le sexe a un côté beau et poétique, mais également un côté souvent bien moins appétissant (sueur, écoulements…). Bien des auteurs font l’impasse sur ce réalisme pour ne conserver que le côté glamour. Quelle est votre préférence ?

ISABELLE LOREDAN – Je n’ai pas de préférence, tout dépend du contexte. Ce ne doit pas être gratuit, mais nécessaire à l’histoire. J’ai, par exemple, parlé d’urolagnie dans Que la chair exulte, qui comporte une scène de ce genre. En matière de sexualité, rien n’est sale du moment que c’est fait dans le respect et pour le plaisir. Et puis, mon roman actuellement en cours d’écriture abordera la face sombre d’une obsession sexuelle, et de fait, on y retrouvera des choses pas très glamour. J’ai fait ce choix parce que c’est beaucoup plus intéressant d’aller explorer cela plutôt que de tourner en rond dans le « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

THÉO KOSMA – Préféreriez-vous écrire uniquement au format papier, uniquement au format eBook… ou bien cela est-il sans importance ?

ISABELLE LOREDAN – J’ai démarré avec du papier chez Blanche et à la Musardine, mais l’essentiel de mes écrits est en numérique. Un livre est un livre, quelque soit sa forme. Après, on ne peut nier que le numérique est frustrant, dans la mesure où l’on ne peut être présents sur les salons pour dédicacer. Le mépris des médias n’aide pas non plus. Combien de fois j’ai entendu « Revenez quand vous aurez un VRAI livre », en réponse à mes envois de dossiers de presse ! Même le Centre Régional du Livre me l’a dit -depuis, il a un peu revu son jugement. Une chose est certaine aujourd’hui, sans parution préalable en numérique, je n’aurais pas aujourd’hui de livres papier.

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THÉO KOSMA – Quel serait selon vous le schéma de société qui serait le plus sexuellement épanoui ? (Matriarcat, patriarcat… avec religions, sans ?)

ISABELLE LOREDAN – Une société matriarcale ou patriarcale ne me fait pas rêver du tout. Ce que je souhaite vraiment, c’est une société humaniste. C’est cela qui permettrait aux individus de s’épanouir à tous les niveaux, y compris sexuellement. Quant aux religions, franchement on ne peut pas dire qu’il y en ait une qui ne réprime pas la sexualité, qui ne la réduise pas à la nécessité de procréation uniquement. Alors je pense que leur disparition ne pourrait qu’être une bénédiction pour les pauvres humains que nous sommes.

THÉO KOSMA – Voyez-vous une différence entre écrits érotiques et écrits pornographiques, si oui laquelle ?

ISABELLE LOREDAN – En effet, le pornographique va aller plus dans les détails anatomiques et crus, quitte à être souvent répétitive. Esparbec est pour moi un auteur plus pornographique qu’érotique. Pour moi, un livre pornographique est celui que l’on lit à une main, alors que l’érotique fera plus appel à l’imaginaire, provoquera un plaisir cérébral plus que physique. Après, c’est quelque chose de totalement subjectif. Ce qui paraîtra pornographique à l’un, sera sans doute érotique pour l’autre et réciproquement.

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THÉO KOSMA – À l’heure des Gaypride et du libertinage, mais également à l’heure des scandales provoqués par certains écrits et comportements (Cohn Bendit, Frédéric Mitterand…), au fond, sommes-nous à l’heure des tabous ou à l’heure d’une liberté sexuelle ?

ISABELLE LOREDAN – En matière de littérature érotique, tout devrait pouvoir être écrit, sans censure ou auto-censure. Après tout, ne vaut-il pas mieux coucher des fantasmes malsains sur le papier que de passer à l’acte (ça renvoie à ce qu’écrivait Sade quand il disait ne pas avoir fait le millième de ce qu’il a écrit). Plus j’avance en écriture et moins je me censure au moment de la création. Après, au niveau sociétal, je constate chaque jour un peu plus le recul de la liberté sexuelle. Il faut rester dans « les clous », être dans la norme bien pensante, ne pas choquer. Je ne suis pas sûre que Florence Dugas pourrait encore être éditée aujourd’hui, ou que Françoise Rey pourrait publier sous son nom sans générer un tollé chez les parents d’élèves…

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THÉO KOSMA – Sur votre blog, vous vous exprimez fréquemment sur des sujets sociétaux. Quelle est votre position sur les débats actuels qui n’en finissent plus de créer la polémique ? (Sanction ou non de la prostitution, G.P.A., changement de sexe, sexe neutre…)

ISABELLE LOREDAN – Je m’emporte pour ce qui m’importe, disait Daniel Balavoine. Eh bien moi aussi. Vouloir sanctionner les clients de la prostitution ou interdire celle-ci est absurde. Ce sont les réseaux mafieux qui font la traite d’êtres humains qu’ils faut pourchasser, mais en quoi est-il plus répréhensible ou moins respectable de vendre son corps pour du sexe que de le louer à un patron qui vous fait bosser sur une chaîne de production ? On nous dit que le commerce du corps humain est immoral, mais chaque jour des clubs de foot vendent des joueurs pour des sommes astronomiques, sous les bravos des foules… Cherchez l’erreur ! Bizarrement, quand on parle de prostitution, on n’évoque jamais les prostitués masculins, c’est toujours pour dénoncer les femmes qui en sont toujours victimes. Je suis favorable à une vraie réglementation en faveur des travailleurs du sexe, qui sont aujourd’hui marginalisés et poussés à la précarité. On ne peut d’un côté revendiquer une égalité homme-femme et d’un autre dire qu’une femme ne peut décider de travailler dans le milieu du sexe.

Que chacun puisse vivre selon ce qu’il est au plus profond de lui-même, c’est me semble-t-il une revendication normale. Alors oui, les transgenres ou les intersexués doivent pouvoir avoir une identité conforme à ce qu’il sont, opérés ou pas, et sans avoir à renoncer à une vie sexuelle à cause de castrations chimiques. Ce sont des individus, pas des bêtes de foire. Il y a encore beaucoup à faire en la matière.

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THÉO KOSMA – De quelle façon construisez-vous une histoire ? Établissez-vous un schéma clair, êtes-vous plus intuitive ?

 

ISABELLE LOREDAN – Je ne construis pas d’histoire, en fait l’histoire s’impose à moi d’elle-même, et souvent dans son intégralité… Je n’ai jamais su faire de plan, même au lycée où l’on en exigeait pourtant pour les dissertations. J’écris au feeling, en partant de la trame qui est dans ma tête. Souvent, l’idée me vient en dormant, ou alors après avoir observé quelque chose ou quelqu’un. Je me nourris de ce qui m’entoure, mais aussi de ce que je lis. Je crois qu’un auteur est une éponge qui s’imprègne de son entourage pour restituer cela sous une forme artistique. Et c’est cela qui donne de la force et du réalisme au texte, même s’il n’est qu’une fiction (renvoi à la première question).

Pour en savoir plus sur l’auteure, cliquez ici afin de visiter son blog.

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