Nouveau conjoint

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Chloé vit avec sa maman, une semaine sur deux. Maman a un nouveau conjoint. C’est décidé : il viendra vivre ici.

En un clin d’œil, l’homme était installé. Oh ma foi, ç’aurait pu être bien pire. Carl était un trentenaire au look jeune, si on ne connaissait pas son âge on ne parvenait pas à lui en donner un, comme Astérix. Brun, cheveux courts frisés à la limite du crépu, et pourtant une peau aussi blanche qu’un suédois. Prof de français depuis quelques années, mieux valait ne pas demander où ils s’étaient connus, aucune raison « naturelle » n’étant possible (les salons littéraires, ce n’était pas le genre de maman). Son apparence était décontractée : jean, t-shirt, dents un peu jaunies par le café et un passé de fumeur, yeux marrons, plutôt pas mal, pas toujours trop bien rasé. Prof, quoi. Prof de l’éducation nationale et de l’école publique, sa profession liée à ses idées syndicales exigeait un minimum de négligence, on ne pouvait lui en vouloir. D’autant qu’avec cette allure de trois sous, finalement il en jetait pas mal et était plutôt beau gosse. Quand il parlait, il dégageait un certain charme et incitait naturellement à l’écoute, ce qui est largement suffisant pour un enseignant.
Je ne m’en faisais pas. Si Carl s’avérait chiant, avec la garde partagée je n’y aurais droit qu’une semaine sur deux. S’il s’avérait insupportable, je n’aurais qu’à dire à maman qu’il entre tout le temps quand je suis sous la douche et rôde près de ma couche la nuit, et il serait éjecté du jour au lendemain. Bon, j’espérais tout de même ne pas en arriver à de telles extrémités.

De premier abord, notre Carl ne semblait vraiment pas inconvenant. Plutôt arrangeant, même. Se faisant tout petit, il avait, dixit maman, beaucoup hésité avant de s’installer, se demandant si ce serait sain pour moi. Touchante attention ! J’en connaissais une qui ne s’embêtait pas autant. D’ailleurs, il mit un peu plus de temps que prévu à s’installer, se contentant d’abord d’un repas commun ou d’une soirée. Ça se passait bien… ça m’emmerde de le dire, car ça fait de moi une faible femme, le bougre savait bougrement bien m’amadouer. Homme à femmes je ne sais pas, séducteur oui. Et un séducteur sait s’adapter, il a pour principe de ne pas séduire que pour le sexe. Un séducteur, un vrai, séduit aussi son patron pour avoir une augmentation, ses électeurs pour qu’ils votent pour lui, ou une petite fille pour se faire accepter dans la maisonnée. J’avais vaguement conscience de me faire un peu manipuler, je crois que ça ne me gênait pas tellement.

Je me raidis toutefois lorsque maman tenta des sorties à trois. Non, ça me faisait trop mal. Ça me rappelait bien trop quand le trio maman, papa et moi. Je voulais bien de Carl comme habitant des lieux, pas comme père de substitution. Leur couple montrait beaucoup de bienséance. Aucune galoche devant moi, presque pas de gestes. Ils ne voulaient pas me brusquer.
Leurs regards trahissaient pourtant une forte tension sexuelle. Elle en était d’autant plus contenue. À moi on ne la fait pas, ils avaient tout le temps envie de faire l’amour, ça se voyait. Ça non plus, ça ne me dérangeait pas. Pour tout dire, j’avais dû faire mon deuil parental depuis plus longtemps que je ne le pensais. Hormis la tension sexuelle, il me semblait voir entre elle et lui quelque chose ressemblant à de l’amour.

S’il n’y avait eu que Carl, l’affaire n’aurait pas été si complexe. Il y avait surtout son fils. Car oui, Carl avait un fils, et voilà qui changeait tout. Et un fils à garde unique, s’il vous plaît. La mère était au Canada. Je te présente donc Léopold. Préado de deux ans mon aîné, rouquin, tout en chair et en boutons et se donnant des airs de grand. Étrange que Carl ait pu engendrer ça, le proverbe « tel père tel fils » en prend pour son grade. À moins que la mère lui ait caché des escapades, qui sait. Avec Léopold, dès les premiers instants ça n’a pas accroché. Oh pas de haine, et rien de catastrophique, c’est juste qu’il n’y a aucun lien. Je ne sentais pas ce garçon. Nos échanges restèrent toujours très limités. Lui-même ne semblait pas enchanté de s’installer ici. Heureusement pas dans ma chambre, maman lui ayant aménagé la petite pièce d’amis. L’air impassible de Léopold m’agaçait. Tout semblait lui être plus ou moins indifférent tant qu’il avait sa console de jeux. À l’époque c’était très rare… j’avais affaire à l’ancêtre du geek. Bref, Léopold n’avait rien pour lui, tout du moins rien pour me plaire.

Le jour de l’emménagement, maman avait insisté pour me faire un nœud dans les cheveux, me peigner et repasser ma robe. Elle voulait me transformer en poupée, que j’aie l’apparence d’une petite fille bien sage. Ridicule… Carl était déjà venu, son fils aussi. À la maison, je suis bien plus négligée que dehors, tous deux étaient déjà au courant pour mes vieux t-shirts trop larges et mes jeans raccommodés. Ce nouveau schéma familial imposé me glaçait. Je faisais la gueule. Je tentais de n’y rien laisser paraître, ça se voyait tout de même. Ça ne mit pas le pauvre Carl à l’aise. Il tenta de me faire sympathiser avec sa progéniture, on échangea quelques mots. La conversation tourna vite en rond, on n’avait rien de spécial à se dire. La voix de Léopold muait, elle oscillait entre le grave et l’aiguë, et dans ses propos, je sentais qu’il me prenait un peu de haut.

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Pour en lire beaucoup, beaucoup plus…
En attendant d’être grande – Partie 2 – Éducation libre sur Google Play / Kobo Books

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