Cette semaine faisons la connaissance de Claire Von Corda, une des rares auteures à évoquer non seulement le registre érotique mais également pornographique…

 

. Qu’est-ce qui crée l’étincelle d’une histoire ? Qu’est-ce qui la déclenche ?

Parfois la première phrase, je l’entends et elle me lance. Parfois l’envie du récit en particulier. Parfois l’ennui. J’ai l’impression que « l’étincelle » s’impose à moi. Car je constate, elle dépend des moments, des lieux, des personnes. Quelque chose peut prendre à un instant qui n’avait pas pris à un autre.

. Quelles sont les techniques pour « affronter » une nouvelle ou un roman, le poursuivre coûte que coûte et en venir à bout ?

Ecrire tous les jours mais je n’invente rien, la discipline, la hargne, la rage. Le désir d’avancer, la hâte et l’impatience. C’est le principal moteur qui rend le reste possible.

Je pense qu’une fois que la nouvelle ou le roman commence, on n’a pas d’autre choix que de le finir. On le subit presque. Comme une mission que nous devons mener à terme.

. Ecrire est un plaisir demandant des contraintes. Comment trouver le juste milieu entre contrainte et plaisir ?

J’aime les « contraintes » imposées par l’écriture. Pour moi elles ne sont pas négatives, elles sont aussi plaisir. C’est ça aussi l’écriture, sa rigueur, sa solitude, son acharnement.

. Quelles sources d’inspiration pour écrire ? Simplement l’imaginaire, ou bien la vie personnelle, celles des autres, les médias ?

Tout est nourriture. Et puis beaucoup le silence aussi. L’observation.

. On dit parfois que tout roman a un côté autobiographique. Ecrit-on pour exorciser un certain vécu, ou au contraire pour aller au-delà de soi ?

Je transcris par écrit ce que je dois écrire. Parfois il s’agit d’éléments autobiographiques. Parfois pas.

L’un peut aller avec l’autre. On peut écrire comme acte d’exorcisme qui nous permettra justement d’aller au-delà de soi.

. Comment accorder la vie d’auteur érotique avec une vie plus classique (de famille , de bureau…) ? Faut-il ou non cacher cette activité littéraire ?

Je ne sais pas ce qu’est une vie classique mais je ne crois pas qu’être autrice érotique soit un frein à la vie. Au contraire. Quant à la cacher…. La question me fait rire, je ne vois pas pourquoi.

. Des projets actuels en cours ? Littéraires, ou autres ?

Multiples oui. Littéraires, poésies, romans, mais musique aussi et dessins. (Note de Théo : Claire est également musicienne, et vous pouvez voir ses dessins sur son FaceBook).

. Les thèmes «sulfureux» sont-ils ton domaine de prédilection ?

Je n’aime pas les étiquettes. C’est idiot à dire mais je ne me lance pas dans un projet en souhaitant le rendre « choc » ou « sulfureux ». C’est la réception qui le qualifiera. Et les réceptions sont multiples.

. Pourquoi avoir choisi cette voie ? Quel a été le déclencheur ?

Je me suis mise à écrire sans réfléchir. Parce que la chose s’est présentée à moi, m’a habitée et depuis elle m’occupe.

 

La littérature érotique en général…

 

. En quoi ces lectures peuvent-elles nous faire réfléchir ? Nous ouvrir au monde, aux autres ?

Cette littérature est politique. Comme toutes les autres. Ecrire mène à l’ouverture et la réflexion. Si l’on part de notre vérité, de notre intérieur, elle ne pourra qu’ouvrir les champs et montrer à l’extérieur la diversité des possibles.

. On accuse la littérature érotique… d’avoir un style pauvre, un vocabulaire répétitif et des histoires clichés… et d’être uniquement conçue pour exciter. Accusations injustifiées ? Justifiées ?

La littérature de genre inquiète la littérature se voulant plus sérieuse. Mais je pense que ce sont des considérations dépassées et sans fin ni intérêt. Tout peut être nul ou génial ; la façon d’être employée est primordiale. Un vocabulaire pauvre peut devenir clinique et angoissant s’il est bien maitrisé tu vois. Ce n’est pas le nombre de mots utilisés qui fera que le roman est bon ou mauvais.

Et les clichés peuvent se trouver partout. Le genre n’a rien à voir avec.

. L’I.A. saura-t-elle un jour, selon toi, écrire de vraies belles histoires (érotiques ou non) ? Quel sens tout cela a pour toi ?

Je n’y comprends rien et je ne m’y intéresse pas. C’est très obscur pour moi.

. Un ou deux coups de cœur littéraire, que ce soit en érotique ou tout autre style ?

J’adore la poésie de Laura Vazquez. J’adore les nouvelles de Mariana Enriquez. Je me penche aussi sur la scène de RER Q et Gorge Bataille.

. Dans un polar ou un livre d’horreur, on prend plaisir à imaginer des choses que l’on n’aimerait jamais vivre. Est-ce également le cas en littérature érotique ? Quel est ce mystère ?

C’est l’inverse pour moi, je prends plaisir à imaginer des choses que j’aimerais vivre. Et cela crée des fantasmes. En littérature érotique, le déclencheur est le point de bascule. Je suis passionnée par chercher le moment de dérapage, la rupture. L’élément qui tranchera et nous mènera ailleurs. Clairement ailleurs.

. Quelle est la limite dans la littérature érotique ? Faut-il des tabous et des interdits, si oui lesquels ?

Il y a trop de tabous et d’interdits dans la vie réelle, la littérature érotique est là pour tout niquer !

. Faut-il écrire selon le souhait du lectorat ? Ou bien selon ses propres envies ?

Je ne pense pas au lectorat lorsque j’écris et je n’aime pas y penser ou qu’on m’y fasse y penser. Il est cependant naïf de ne pas le prendre en compte. Mais je ne sais pas quoi faire. Je ne sais jamais quoi faire.

. Familles recomposées, sites de rencontres, dénonciation du harcèlement, banalisation de la pornographie… en quelque décennies, notre image du sexe et de l’amour a été chamboulée. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Si je prends la vie réelle, la masse, les comportements classiques, je dirai pour le pire. J’ai l’impression d’être dans un monde pauvre qui s’appauvrit tout en étant fier de vouloir s’appauvrir. La différence est mal jugée. On se doit sans cesse de se justifier, de s’expliquer ou de s’excuser. C’est terrible, rien n’avance, tout est douleur. Mais il faut persévérer et se battre. C’est l’art qui nous sauvera, la littérature. Il faut des nouvelles voix, des coups de poing, des os brisés.

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