Absurde concurrence féminine

Un passage de ma série « En attendant d’être grande », contant les aventures d’une passionnée de sensualité, de sa naissance à son âge adulte.


Peu de temps après, alors que j’ai encore ces magazines à l’esprit, un homme d’une agence de mannequins prend rendez-vous avec la directrice et consulte les photos de classes. Des mannequins enfants je ne savais même pas que ça existait. Il ne recherche que des filles…

Une quinzaine sont repérées. Je suis l’une d’elles, ce qui ne prouve pas que je suis jolie, plutôt photogénique. Mince, encore des jalousies à venir. Un petit entretien préalable a lieu, nouvelle sélection, et je suis dans les quatre finalement retenues. C’est curieux, personne n’a demandé si on souhaitait le faire, on nous a juste appelées dans la journée à passer le voir, lui et une dame, dans un bureau de l’école. Etrange méthode au cœur d’un établissement publique, n’est-ce pas ?


On accepte plus ou moins, un peu par envie, un peu par obéissance envers un adulte : juré, on nous a juste dit qu’on était prises, en nous l’annonçant comme si nous étions les plus chanceuses de la terre, comme si c’était la super cagnotte du Loto.


J’imaginais un défilé de mode avec paillettes, on me parle de photos « familiales » pour un catalogue de fringues. Je ne sais que faire… Ma famille n’a pas encore confirmé le rendez-vous, je peux encore dire non.

Clarisse me supplie d’y aller, sans parvenir à m’expliquer pourquoi : je dois y aller c’est tout,

et maman est de son avis. Pour cette dernière, la question ne se pose même pas. Chiotte, on me met la pression. Je cède… J’essaye de me persuader que j’ai envie, que c’est une nouvelle géniale… Non, je ne suis pas convaincue.


Toute l’école est au courant malgré moi, on raconte mille rumeurs sur le milieu. Liasses de billets, directeurs pervers aux lunettes noires, liens avec la maffia, la drogue, la prostitution, propositions de films, rencontre avec des stars… Des cancans effrayants, d’autres attirants. D’après Marthe, rien n’est trop vrai mais rien n’est si faux. J’y vais avec une boule dans la gorge.


Au retour de la journée, je me marre : si les copines voyaient à quoi ressemble un shooting elles n’en feraient pas un tel foin. Ça s’est déroulé en banlieue, loin et tôt, dimanche. Maman m’a emmenée avec le sourire, conne de mère, toi qui n’as jamais voulu de ciné matinal toutes les deux ou de piscine. On doit bien rouler trente bornes, en plus l’équipe est en retard et met un temps fou à s’installer. On aurait pu arriver deux heures plus tard sans aucun problème ! Nous sommes dans une sorte de grand hangar vide et froid, avec de fausses pièces de maison, juste munies de deux murs. Imitation d’une salle à manger, d’une entrée, d’un salon…

En fait ça ne sera pas pour un catalogue de fringues mais de meubles, ça commence bien. Les autres filles semblent pourtant aux anges.

On nous donne de quoi nous vêtir et on nous maquille, rapport aux projecteurs.

Ils vont jusqu’à nous passer une sorte de vernis sur les dents, afin de leur donner une blancheur surréaliste.

On nous peigne, on nous met du produit dans les cheveux qui fait tousser. Mon reflet dans le miroir ne me plaît pas, c’est trop parfait, sans âme. En fait de mannequin, je tiens plus de celui, figé et en plastique, des grands magasins. Se changer se fait derrière un paravent, à l’abri des regards, ce que je trouve ridicule vu nos âges.

En plus c’est hypocrite, plusieurs hommes n’arrêtent pas d’y passer comme par hasard. Enfin, on nous installe et ça démarre. Pas trop tôt. Je suis les directives, encore un peu endormie (maman m’a réveillée avant six heures !). L’idée est juste de mettre en valeur des tables, chaises, frigos et canapés. La dame du début nous dit de nous détendre, d’être naturelles. « Amusez-vous ! » qu’elle répète, faussement copine, en fait plutôt autoritaire. S’amuser, et comment donc ?


Ils ne font rien pour nous détendre ni nous divertir.

Je porte une robe rose très sage, des chaussettes imitation dentelle sophistiquée

qu’on me remonte jusqu’aux genoux, un serre-tête. Je n’avais jamais été si ringarde. Maman est enchantée.

Le photographe, si gentil et attentionné soit-il, n’est jamais satisfait et il faut reprendre les mêmes poses des tas de fois. Il y a des portes murées, de fausses fenêtres. Les trois autres filles sélectionnées de mon école passent un autre jour, je suis en compagnie d’une petite de six ans n’arrêtant pas de me coller et d’une grande pimbêche, de deux ans mon aînée, qui se prétend « professionnelle ».

Maquillée comme tu es professionnelle de quoi, ai-je failli lui dire. Il y a aussi un homme et une femme, les seuls véritables pros je pense, sympas et un peu superficiels. Les consignes sont simples : jouer des scènes du quotidien, comme si ces deux filles étaient mes sœurs et ces deux grands mes parents. On fait mine de jouer ensemble, de se raconter des blagues, prendre le petit-déjeuner, rentrer de l’école…

On se change trois ou quatre fois, dont une où on est au lit, en pyjamas, la maman fictive faisant comme si elle nous lisait une histoire. Ça se corse. En apparence tout va bien : au bout d’une heure j’ai pris le pli, le photographe est content de moi, de nous, on enchaîne plus vite les séquences. La grande pimbêche est étonnante, effectivement très pro j’avoue : l’instant du cliché elle me sourit aux éclats, dès la pose terminée m’ignore avec dédain.

Toi ma belle dans quelques années tu te feras attraper à quatre pattes pour monter en grade,

je ne te dis que ça. Cette fausse sœur voit sans doute en moi une concurrente potentielle… Au fond c’est flatteur. Elle n’a pas à s’en faire, j’ai hâte de partir et de ne plus revenir. Mimer une famille unie qui s’aime est jeu trop cruel. Mon cœur pleure, faisant contraste à mon sourire forcé aux dents trop blanches pour être vraies.

Mon personnage câline la maman, se balade avec le papa en lui tenant la main, est coiffée par la maman dans la salle de bain (« Non Chloé n’enlève pas tout ! En culotte sous la robe de chambre ça ira »)… Même du temps où les parents s’aimaient nous n’avons jamais fait tout cela. Pourtant, que du banal ! J’ai plutôt vécu des petits dèj’ seule, parents déjà partis ou pas encore levés, et des aprèms eux devant la téloche moi dans ma chambre, ou eux dans leur chambre moi devant la téloche… Au mieux, tout le monde devant la téloche.

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