Entretien avec Jocelyn Witz 3/3

Dernière partie de l’entretien avec l’auteure Jocelyn Witz, qui diffuse de nombreuses nouvelles sur Atramenta

 

. Quelle est la limite dans la littérature érotique ? Faut-il des tabous et des interdfits, si oui lesquels ?

Là encore on pourrait biffer l’adjectif « érotique » dans ta question. Pas de limite à la littérature, point. On peut tout dire. Poser des limites a priori équivaut à exercer une censure : on sait ce que ça cache et où ça mène. Laissons les auteurs s’exprimer librement. La qualité de l’écriture tranchera. Si elle est suffisante, elle créera assez de distance pour excuser et sublimer tous les excès qu’on veut, cf. Sade et bien d’autres. Si en revanche le texte est mal écrit, il sombrera de toute façon très vite dans l’oubli.

Pas de limites institutionnelles, donc. Cela dit, chaque auteur, qu’il le veuille ou non, qu’il en soit conscient ou non, aura tout de même, bien entendu, ses propres limites, tabous et interdits. Dans quelques-unes de mes histoires, je décris des viols, des tortures sadomaso, des scènes crades, uro, etc. Dans d’autres j’ai flirté avec la pédophilie qui, par certains aspects, me semble un sujet littéraire intéressant. Mais, au risque de décevoir mes lecteurs, je n’irai guère plus loin.

. En quoi cette littérature résonne-t-elle avec la société actuelle, à l’heure entre autres d’un certain retour à l’obscurantisme religieux ?

Tu veux dire : puisque les barbus et les puritains de tout poil veulent faire disparaître de l’espace public le corps féminin, exaltons plus que jamais ses charmes ! revendiquons haut et fort ses droits à la jouissance !… Certes, la littérature a un rôle à jouer dans les luttes pour la liberté, je profère là une banalité. On parlait de censure, nous voilà en plein dedans. Mais ce combat est-il vraiment propre à notre époque ? Pas sûr…

Et puis, pour être honnête, je n’écris pas pour lutter contre les barbus. J’écris, beaucoup plus égoïstement, parce que ça m’amuse, parce que c’est un jeu intellectuel stimulant, parce que mes textes me valent des retours encourageants aussi. Si politique il y a dans ce que je fais, c’est par la bande, par contrecoup. Au bout du compte, toute forme d’art sincère représente un défi lancé à l’obscurantisme et à la connerie.

 

. Quelle technique personnelle pour mieux vendre, se faire connaître ?

Pour vendre, aucune idée, je suis nulle sur les questions d’argent.

Pour se faire connaître sur Atramenta ou autre, commencer par garder en mémoire la notion d’échange et de partage, donc ne pas se contenter de poster ses textes et d’attendre les retours (si possible élogieux), mais aller au-devant des autres inscrits en lisant leur propre production, en leur laissant des commentaires constructifs, en participant un tant soit peu à la vie du site.

Et naturellement, écrire de bonnes histoires, originales, bien construites, soignées, sans un millier de fautes d’orthographes, etc., aide sans aucun doute à se fabriquer un lectorat.

 

. Faut-il écrire selon le souhait du lectorat ? Ou bien selon ses propres envies ?

Je suis convaincue qu’on ne peut écrire une bonne histoire que si elle (ou quelque chose en elle) nous touche intimement et profondément. Par conséquent, me plier aux souhaits du lectorat ne mènerait à rien. J’écrirais des trucs au goût du jour… mais merdiques.

Ou parfois on me réclame la suite de tel ou tel récit, mais je ne sais pas faire, non. Il faut suivre ses envies. Les humains ne sont pas si différents les uns des autres. Si ton texte est bon, il se trouvera toujours des lecteurs pour en être touchés, pour enfourcher tes chimères apparemment les plus personnelles.

. Familles recomposées, sites de rencontres, dénonciation du harcèlement, banalisation de la pornographie… en quelque décennies, notre image du sexe et de l’amour a été chamboulée. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Si l’on excepte la dimension d’exploitation qu’il y aurait, paraît-il, dans certaines formes de pornographie, toutes ces mutations me semblent aller dans le sens de l’autonomie, notamment des femmes. Idem pour le phénomène trans : certes il s’agit sans doute d’une mode doublée d’un marché juteux, mais pouvoir choisir son genre représente quoi qu’on en dise une liberté inouïe, une sorte de rêve réalisé. La chirurgie me fait peur et je suis trop vieille pour me lancer là-dedans, à supposer que j’en aie l’envie, mais ça fait quand même rêver, je trouve.

J’avoue que je ne suis pas très douée pour analyser ces changements sociétaux sur lesquels, de surcroît, nous n’avons aucune prise au niveau individuel. Ils peuvent juste m’être éventuellement une source d’inspiration pour de futurs récits.

 

. Que faire face à cette misère sexuelle touchant toutes les couches de la population ? Pourquoi tant de laissés pour compte ?

Encore des questions auxquelles je n’ai pas de réponse. Misère sexuelle ? Y a-t-il plus de gens seuls qu’avant ? Mais avant c’était le mariage ou rien, avec tous les risques de mauvaise pioche que ça comportait, et on peut se sentir très très seul(e) même en couple. Peut-être la liberté et la flexibilité actuelles sont-elles préférables.

 

. Toujours passer par la séduction, la drague et la discussion pour en venir au sexe  : hypocrisie à proscrire ou jeu charmant ?

L’évolution des mœurs (je pense en particulier aux clubs échangistes et aux sites de rencontres) permet aujourd’hui, sinon un accès vraiment direct, du moins de sacrés raccourcis pour arriver au sexe avec des inconnu(e)s sans passer par des mois de discussion.

Ça ne veut pas dire que la drague et les jeux de séduction doivent disparaître, bien au contraire. Là encore, c’est juste une liberté supplémentaire qui s’offre à nous à travers de nouveaux rapports au corps et à la sexualité. Des gens maîtrisant mal la parole et ses subtilités peuvent y trouver leur compte. D’autres préfèreront toujours faire longuement connaissance, flirter, dîner, danser, etc., avant d’aller éventuellement au lit. C’est au choix de chacun(e).

Quant à l’hypocrisie, dans ce domaine, je n’y crois pas : un homme qui drague, on sait très bien ce qu’il cherche au final (à savoir le plaisir, rien de répréhensible à ça). Cependant, s’il y met les formes, s’il est drôle et inventif, si le courant passe et qu’on vit l’un et l’autre un bon moment, pourquoi ne pas jouir de ce moment comme tel et le faire durer un peu ? Clairement, oui, c’est un jeu.

. Pourrait-il y avoir une forme de divinité ayant créé l’univers ? Une vie après la mort ?

Ça se saurait. Qu’on me les montre ! Je veux bien qu’on s’interroge sur l’origine de l’univers et notre place à l’intérieur de ce grand machin, mais de là à raconter n’importe quoi…

Et puis, l’histoire nous enseigne que ce genre de thèse a la fâcheuse tendance à servir d’alibi à des systèmes liberticides.

 

. Différences hommes-femmes… Biologie ancestrale ou construction sociale ? …Ou peut-être un peu des deux ?

Un peu des deux. La relative facilité qu’ont certaines personnes à effectuer aujourd’hui leur transition d’un genre à l’autre m’inciterait à penser qu’il y a là-dedans davantage de construction sociale que de biologie. On change de sexe presque comme on se fait tatouer ou percer les oreilles.

 

. Qu’est-ce qui pourrait rendre notre rapport à l’autre plus sain ?

Vaste question ! La tolérance, l’écoute, des choses comme ça, non ? Je ne suis pas sûre que les écrivains soient le plus à même de répondre à des interrogations aussi anciennes et universelles.

 

. Quelle sexualité au quotidien ? Vie sage, de couple, abstinente, libertine ?

Vie de couple dans l’amour sous toutes ses formes. J’ai passé l’âge des expériences libertines.

 

. Faut-il réaliser ses fantasmes ?

J’en ai réalisé un certain nombre. Quant à ceux qui sont trop trashs ou trop dangereux, je les garde pour mes nouvelles. De toute façon, je trouve que le « il faut » n’a pas sa place ici. Chacun doit pouvoir décider s’il a envie ou non de mettre en pratique tel ou tel de ses fantasmes. On en a tous, et par-dessus le marché les médias nous en suggèrent à gogo, mais il n’est absolument pas obligatoire de passer à l’acte. Même non réalisés, les fantasmes nous procurent souvent du plaisir, quand par exemple on y pense (ou on en parle) en faisant l’amour.

Du reste, on peut aussi être déçu(e) le jour où on les réalise : ça n’était que ça ?…

 

. Un souvenir sexuel particulier à nous partager ? (Formidablement intense, ou au contraire incroyablement décevant)

J’en ai glissé plus d’un dans mes récits, et davantage encore dans mes poèmes. Les livrer comme ça, de but en blanc, non : c’est mon côté pudique.

Un grand merci à l’auteure de s’être prêtée au jeu !

Pour lire les écrits de Jocelyn, c’est ici.

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