Deuxième partie de notre entretien avec l’auteur Jocelyn Witz. Dont vous pouvez découvrir ici les nouvelles sulfureuses, et là les poèmes érotiques.
. Comment accorder la vie d’auteur érotique avec une vie plus classique (de famille, de bureau…) ? Faut-il ou non cacher cette activité littéraire ?
J’ai l’impression qu’il y a deux aspects dans ta question : d’une part la famille et les proches, de l’autre le public, les lecteurs. Pour le premier, érotique ou pas, le problème reste le même : dégager quelques heures quotidiennes pour écrire.
Quand notre fils était petit, je n’avais plus le temps. J’ai passé des années sans écrire (ceci dit sans aucun regret, bien sûr). Plus tard il m’est arrivé de travailler en douce au bureau, en particulier à relire et corriger mes textes, mais c’est compliqué.
Pour une bonne concentration rien ne vaut le calme de la maison. J’ai un mari qui sait ce que je fais (il est souvent le premier à me lire), qui a lui aussi, comme tout le monde, ses champs d’activité perso, qui ne me dérange pas quand j’écris. Ça m’aide et me tranquillise. J’ai besoin de son soutien. Cacher son activité littéraire à la personne avec laquelle on vit, je ne crois pas que ce soit possible.
Mais le sens de ta question vise peut-être davantage le rapport au public ? Là, j’avoue, je préfère à l’inverse me dissimuler derrière mes pseudos et mon écran d’ordi. Très peu de gens de mon entourage savent que j’écris.
C’est encore et toujours une question de caractère, de nature personnelle. Pauline Réage a choisi de garder l’anonymat toute sa vie tandis qu’Alina Reyes s’est montrée à visage découvert dès ses premiers écrits érotiques. Je n’ai nullement honte de ce que j’écris, soyons clairs, la question n’est pas là, seulement un face-à-face avec les lecteurs me gênerait, je ne me sentirais pas à l’aise.
. Pourquoi avoir choisi cette voie ? Quel a été le déclencheur ?
Aucune idée. Simplement j’ai toujours été plutôt renfermée, introvertie, antisport et dévoreuse de bouquins, alors comme tous les gosses j’ai commencé à me raconter mes propres histoires. A l’adolescence je me suis mise à noircir des cahiers, puis j’ai acheté une machine à écrire d’occase, plus tard un ordi…
Des milliers de gens écrivent. Je suppose que c’est un mode d’expression naturel et qu’il n’y a pas spécialement besoin d’un déclencheur. Après, pour persister jusqu’à montrer ses textes à d’autres, les envoyer à un éditeur, il faut sans doute une impulsion supplémentaire, un besoin d’aller vers les autres par ce biais-là, justement parce qu’on est par ailleurs quelqu’un de pas très liant, je ne sais pas.
. Auteur professionnel, semi-pro, amateur ?
Amateure, complètement. J’ai réussi à placer quelques histoires dans des revues ou des recueils thématiques collectifs, et même à publier deux recueils complets sous mon pseudo, Évolution(s) et Futur(e/s), mais ça s’est fait un peu par hasard : suite à un concours de nouvelles qu’il organisait (et que j’ai remporté), l’éditeur m’a demandé si j’avais d’autres textes sous le coude. J’étais flattée, curieuse de tâter du semi-professionnalisme… mais finalement déçue à l’arrivée, à cause surtout du manque de contact avec le lectorat.
Je suppose qu’on peut vivre de sa plume, à condition toutefois de publier beaucoup et chez de gros éditeurs, de faire sa promo, d’avoir la chance d’être remarquée au milieu de dizaines d’autres auteurs débutants, etc. J’ai renoncé à entrer dans ce système. Appelons ça de la flemme ou du manque d’ambition, si on veut. En tout cas, je sens que l’amateurisme et la gratuité qui règnent sur les forums Internet me conviennent davantage.
. Cet univers littéraire exige-t-il un pseudonyme, ou doit-on assumer ses écrits quitte à dévoiler son identité réelle ?
Pseudo ou visage découvert, c’est selon la sensibilité de chacun. Le porno est un genre à part où il vaut mieux, je crois, cloisonner de façon étanche vie publique et vie privée, surtout quand on est une femme. Mais ça n’est là que mon opinion.
Deux nouvelles de SF sont parues sous mon vrai nom dans les années 1980, à une époque où, sans doute, je me voyais déjà en haut de l’affiche, comme Aznavour. Une envie de jeunesse qui m’a vite passé car ensuite j’ai multiplié les pseudonymes.
Mais écrire sous pseudo ne veut pas dire qu’on n’assume pas ses écrits. Même si certaines de mes histoires sont trashs, je fais quand même très attention à ce que je mets en ligne et je reste ouverte au dialogue, à l’écoute des éventuelles critiques négatives ou des sentiments de rejet que peuvent parfois (ça m’est arrivé) susciter mes textes.
. En quoi ces lectures peuvent-elles nous faire réfléchir ? Nous ouvrir au monde, aux autres ?
Il y a forcément une ouverture au monde en lisant ce qu’a écrit un autre être humain, avec sa manière à lui d’envisager les choses. Quant à la littérature érotique, on pourrait la voir comme une ouverture vers d’autres pratiques amoureuses, ou simplement (ce qui n’est déjà pas si mal) comme une invitation au désir et au plaisir.
Mais ce sont des questions que je ne me pose pas, en tout cas pas au départ de l’écriture. Je me contente d’écrire des histoires qui m’intéressent et me font rire, trembler, pleurer, etc. Là je sais que d’autres éprouveront la même chose en me lisant.
Souvent ce sont les lecteurs qui me disent que telle idée ou situation les a interpelés et fait réfléchir, alors que j’avais juste pour objectif d’écrire une bonne histoire, une qui tienne debout, avec des personnages humainement crédibles, etc.
. Livre érotique : simple amusement ou bien outil de développement personnel ?
Ma démarche est plus concrète et terre-à-terre : fabriquer de bonnes histoires qui, si possible, passionneront mes lecteurs. Ce travail, comme n’importe quelle activité de création, est probablement bénéfique à mon développement personnel d’une façon ou d’une autre que je ne cherche pas à approfondir. Pour moi l’écriture est avant tout un jeu (ce qui n’exclut pas le sérieux). La vie aussi, peut-être. En tout cas, elle devrait.
. On accuse la littérature érotique… d’avoir un style pauvre, un vocabulaire répétitif et des histoires clichés… et d’être uniquement conçue pour exciter. Accusations injustifiées ? Justifiées ?
Injustifiées ! Qui oserait prétendre qu’Histoire d’O de Pauline Réage ou Aphrodite de Pierre Louÿs, pour ne citer que ces deux-là, sont des romans au style pauvre ? Comme dans tous les genres littéraires, il y a juste des bons et des mauvais bouquins, des auteurs géniaux et d’autres qui écrivent pour contenter un public moins exigeant.
Cela dit sans mépris pour les gens qui veulent simplement lire du porno brut, « conçu pour exciter » comme tu dis : ces gens-là (tout comme ceux qui écoutent les mêmes éternelles rengaines romantiques à la radio, par exemple) y trouvent du plaisir et c’est l’essentiel.
Pour ma part, que ce soit en tant que lectrice (boulimique) ou en tant qu’autrice, les scènes de cul basiques sans contexte ni personnage crédibles m’ennuient rapidement. J’ai besoin d’une vraie histoire autour et/ou d’un style un peu original.
. Un ou deux coups de cœur littéraire, que ce soit en érotique ou tout autre style ?
Des coups de cœur littéraires j’en ai des dizaines. Pour me limiter à deux (trois, allez !) et taper dans des genres très différents, disons Histoire d’O déjà cité, Le Pendule de Foucault d’Umberto Eco et Substance mort de Philip K. Dick. Si tu t’attendais à des trucs récents, c’est raté ! Je me fournis essentiellement chez les bouquinistes.
. Dans un polar ou un livre d’horreur, on prend plaisir à imaginer des choses que l’on n’aimerait jamais vivre. Est-ce également le cas en littérature érotique ? Quel est ce mystère ?
L’imagination fonctionne de la même façon quel que soit le genre littéraire abordé, je suppose. On peut évoquer ce besoin d’exorciser des choses dont tu parlais tout à l’heure, mais, plus généralement, en termes narratifs il est souvent intéressant de placer ses personnages dans des situations extrêmes, de les obliger à faire des choix impossibles. Quelque part, leur raison d’être (et, par ricochet, celle de la littérature) consiste à nous permettre de vivre par procuration des moments intenses.
Et puis, plus simplement, on aime se faire peur sans trop de risques, sinon pourquoi raffolerait-on des manèges du style montagnes russes ?
Suite et fin dans la troisième et dernière partie de cet entretien.