Entretien avec l’auteure Anne Vassivière 1-3

Aujourd’hui, découvrons ensemble l’auteure Anne Vassivière

Qu’est-ce qui crée l’étincelle d’une histoire ? Qu’est-ce qui la déclenche ?

C’est variable.

Par exemple mon roman Parties Communes est né d’une multitude de questions que je me posais sur les relations amoureuses. Ce n’était pas une étincelle mais plutôt un cheminement : j’avais presque 50 ans, j’avais besoin de faire le point sur le couple, le sexe, l’amour. Pourquoi ça fonctionnait. Pourquoi ça ratait. Ces grandes et petites interrogations se sont transformées en exploration littéraire.

L’étincelle est venue quand j’ai compris qu’il fallait une unité de lieu pour y tisser toutes ces histoires entre elles car il s’agit d’un roman choral où on regarde l’intimité des habitants d’un immeuble, ce qui nous permet de mieux comprendre la nôtre. On observe leur vie intime par le trou de la serrure et on a la version des deux protagonistes d’une même scène charnelle.

Ensuite, oui, les aventures des personnages ont commencé à venir par petites étincelles, un regard par-ci, un mot par-là…quand on écrit, tout est prétexte à dérouler le fil d’une histoire. Depuis, j’ai écrit de nombreuses nouvelles, qui, toutes, sont nées d’une fulgurance. Puis, un autre roman, 122 rue du chemin vert, hommage à la littérature érotique. Romans et nouvelles n’ayant pas la même longueur, ils n’ont pas le même souffle. Une étincelle ne suffit pas pour un roman. C’est une myriade d’étincelles au service d’une idée forte.


Faut-il écrire selon le souhait du lectorat ? Ou bien selon ses propres envies ?

Étant donné que je ne dépends financièrement pas des ventes de mes écrits, je ne ressens aucune pression à écrire pour plaire au lectorat. Mais je peux comprendre que certains artistes s’y sentent plus ou moins contraints. J’ai ce luxe d’écrire selon mes propres envies.

Quelles sont les techniques pour « affronter » une nouvelle ou un roman, le poursuivre coûte que coûte et en venir à bout ?

Si la question qui est à l’origine de ton écrit est sincère et profondément ancrée en toi, si elle te hante (positivement ou pas), alors tu n’auras pas le choix, tu prendras la plume à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Et là, il ne s’agit pas de technique mais d’une urgence qui te dépasse : tu poursuivras coûte que coûte.

 Cela dit (et le terme « affronter » est vraiment bien choisi), écrire est difficile et souvent ingrat car cela nous confronte à la fois à notre infinité et à nos limites. Alors on oscille entre satisfaction et découragement. Et c’est là qu’il faut une certaine discipline : ne jamais lâcher le sujet ou les personnages, même quand on n’écrit pas. Garder la connexion avec son texte.

Y penser presque tout le temps, dans la rue, marcher avec ses personnages à côté de soi, regarder le monde avec leurs yeux, les écouter nous parler et prendre des notes dans des petits carnets. Et surtout se faire confiance, ne pas être trop dur avec soi-même, car si on n’écrit rien pendant quelques temps, ce n’est pas perdu, c’est un moment de gestation. La difficulté est d’accepter d’être dans un état assez particulier, flottant, à la fois agréable et déroutant. Tout spécialement si ce n’est pas notre activité principale et que l’on doit gagner sa vie autrement. Patience et passion sont nos amies, l’impatience est notre ennemie.

Certains camarades s’imposent d’écrire deux heures par jour. Certains font un plan détaillé de ce à quoi ils veulent aboutir, puis remplissent les cases de leurs chapitres. D’autre, comme moi, se laissent porter, ce qui n’est pas sans doutes énormes à affronter. La seule bonne technique est celle qui te convient le mieux.

Écrire est un plaisir demandant des contraintes. Comment trouver le juste milieu entre contrainte et plaisir ?

J’envie les gens qui ont du plaisir à écrire, et je me demande s’ils existent vraiment !

Personnellement, je trouve qu’écrire implique une certaine souffrance, un cocktail assez pénible à avaler : grands élans suivis d’immenses doutes, idées semblants brillantes qui se révèlent nauséabondes à la relecture. C’est une discipline exigeante qui demande sans cesse de faire le grand écart entre le dehors et le dedans. Car, pour avoir des choses à écrire, il faut vivre, fréquenter son prochain, bouger, se donner au monde. Et pour mener à bien un projet, il faut s’isoler. Bien souvent je préférerais aller au parc me poser dans l’herbe pour bavarder avec les copines plutôt que de m’enchaîner à l’écritoire !

Il y a heureusement le plaisir fugace d’une jolie phrase qu’on vient de pondre, d’un passage qui nous émeut et qui tient la route. Certaines fulgurances. Mais ces moments sont très fugaces car il faut reprendre le joug, refaire le sillon, creuser plus profond pour être honnête. Ces plaisirs sont de courte durée et, finalement, c’est tant mieux, car être trop content de son propre texte n’est pas toujours bon signe. La fugacité de ce plaisir-là est peut-être le meilleur des gardes fous contre l’autosatisfaction qui nous éloigne de la qualité. Car, que j’écrive de l’érotisme, de la pornographie ou un tout autre genre, l’exigence de qualité est la même. Le travail et le doute le sont aussi.

En revanche, quand l’œuvre est terminée, voire validée, oui, le plaisir est là, intense. Quand on tient le manuscrit terminé, ou mieux encore, l’ouvrage publié. Le titre, la couverture, l’objet dans nos mains. Il s’agit de la joie de l’aboutissement, et celle, extrêmement troublante, de redécouvrir un texte qui nous a demandé tant d’efforts, et dont nous nous étonnons comme s’il avait été écrit par quelqu’un d’autre.

Et puis il y a la joie immense de rencontrer ensuite les lecteurs/trices.

Alors, pour trouver le juste milieu entre contrainte et plaisir, il faut accepter d’être funambule ! Toujours sur la branche.

Quelles sources d’inspiration pour écrire ? Simplement l’imaginaire, ou bien la vie personnelle, celles des autres, les médias ?

Ma vie personnelle n’est déconnectée ni de l’imaginaire, ni des autres, c’est pourquoi mes sources d’inspiration sont complexes et toutes intriquées. Quant aux médias, ils ne m’inspirent rien de conscient en tout cas. Je ne m’en sers pas, au contraire, j’essaye de m’en détacher pour me concentrer sur l’autre et sur moi-même.

Bien sûr, on ne part pas de rien, comme tout le monde, je suis une entité à couches multiples dans l’espace, le temps, le corps et l’émotion. Il en va de même pour mon inspiration.

Disons qu’il y a plusieurs cas de figures : excepté pour des témoignages explicites que je fais parfois pour des amies journalistes, je pars d’une interrogation, une douleur ou un bonheur personnel, un désir, un espoir, une colère, je les regarde dans les yeux, puis je cherche une situation qui va les mettre en lumière et en dire quelque chose de signifiant.

Ou bien je remarque chez autrui une attitude qui fait écho en moi, je rebondis sur une histoire qui se déroule sous mes yeux ou dont j’entends parler, et je m’en inspire pour passer du particulier au commun. Dans tous les cas, j’attrape un fil ténu et je le déroule jusqu’à la conclusion d’une histoire. Mais la condition sine qua none est d’être d’abord touchée, troublée, questionnée, remuée. C’est ainsi que, la moindre des rencontres, même avec l’odeur fugace de l’herbe après la pluie, est source d’inspiration. Y compris érotique. Tout m’inspire partout et tout le temps. Il faut juste ouvrir la porte et toutes les fenêtres.

On dit parfois que tout roman a un côté autobiographique. Écrit-on pour exorciser un certain vécu, ou au contraire pour aller au-delà de soi ?

Se lever chaque matin, mettre un pied devant l’autre, rencontrer le monde et autrui c’est déjà aller au-delà de soi. Écrire aussi. C’est même une chance inouïe car la liberté y est totale. On peut tout y faire et, contrairement au cinéma par exemple, on n’a pas besoin de budget pour cela. On veut une scène d’hélicoptère au-dessus d’une coulée de volcan en fusion ? On l’écrit et elle existe. Être une aventurière au fin fond du Gabon à l’époque victorienne ? Idem. Et cela vaut également pour les situations érotiques.

Certes, on peut aussi exorciser son vécu en écrivant, mais ce n’est pas ce que je cherche à faire. Je travaille plutôt à partager ce que je saisis du monde. Je veux explorer le vivant. Et si parfois je pars d’un évènement autobiographique, je m’empresse de le dépasser pour qu’il englobe davantage que ma personne. J’ai le souci du partage avec le lectorat, j’aime le prendre par la main et aller ensemble au-delà de nous-même.

Pour en découvrir davantage, rendez-vous dès à présent sur son blog… aussi et surtout, découvrez la deuxième partie de cet entretien à partir du 17/06/ 2025.

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