Le questionnaire passé par la plume de l’auteur Anael Verdier. Première partie…
. Qu’est-ce qui crée l’étincelle d’une histoire ? Qu’est-ce qui la déclenche ?
L’envie d’écrire est assez rarement spontanée maintenant, parce que je suis toujours sur un projet, avec une file d’attente considérable. Aujourd’hui, si je cherche une histoire, j’ai des techniques pour aller la trouver. Je peux ressentir l’étincelle d’un texte, sans savoir si ce sera une histoire.
Dans ce cas, ce sera une sensation ou une émotion déclenchée par une situation ou une lecture, une musique, une expérience humaine. Si je cherche à provoquer cette émotion, je vais puiser dans ce qui m’émerveille, ce qui me terrorise et ce qui me questionne. Il faut que ce soit relié au corps. Idéalement, il faut que ça parte du corps. Pour moi l’écriture est d’abord une expérience vécue dans ma chair. Si l’histoire n’est que dans ma tête, elle ne marchera pas.
. Quelles sont les techniques pour « affronter » une nouvelle ou un roman, le poursuivre coûte que coûte et en venir à bout ?
La discipline. En premier jet, je m’impose un nombre de mots minimal quotidien. En réécriture, c’est plutôt un nombre de scènes à réécrire par jour. Je me tourne vers les outils de la dramaturgie quand j’ai besoin de prendre des décisions pour une histoire ou quand je sens qu’un passage pèche. C’est souvent un défaut de rythme ou d’intensité dramatique, et les outils structurels me font gagner du temps mais ces outils ne se substituent jamais à la « justesse » des personnages, que je trouve dans mon corps.

Ecrire est un plaisir demandant des contraintes. Comment trouver le juste milieu entre contrainte et plaisir ?
Je crois que j’ai dépassé cette dialectique dans ma pratique. Je ne dirais pas qu’écrire est plaisant, c’est plutôt une source de joie qui s’enracine dans les profondeurs de mon être et une grande partie de cette joie vient de la rencontre avec la contrainte (qu’il s’agisse de la rigueur du travail ou des contraintes posées par le langage lui-même et par les besoins de l’histoire), parce que ces contraintes servent de berges au torrent des images et des mots qui viennent quand j’ouvre les vannes du texte. Elles permettent de lui donner forme et réalité.
. Quelles sources d’inspiration pour écrire ? Simplement l’imaginaire, ou bien la vie personnelle, celles des autres, les médias ?
Tout. Je suis une éponge. Je me nourris beaucoup d’impressions. Je prends peu de notes, mais j’écris beaucoup de pages de journal qui me permettent de trouver des formes à toutes les sensations que me laisse ma vie. Ça vient rarement de quelque chose de clairement identifié, même si ça m’arrive de piocher dans mon environnement un point de départ.
Je peux partir d’un éclat de voix dans la rue, d’une conversation sur le balcon du dessus, de la tenue d’une personne que je croise dans la rue, d’une parole de chanson, d’un goût… c’est juste un point de départ, pas franchement une source d’inspiration au sens où ça nourrit toute une histoire. J’écris peu à partir de ma vie personnelle au sens où je raconte peu d’événement que j’ai vécus.
J’écris à partir de mes ressentis et de facettes qui existent en moi et que mes textes exacerbent. Aucun texte ne me raconte, mais tous racontent une part de moi (j’exclus mes textes de commande).

On dit parfois que tout roman a un côté autobiographique. Ecrit-on pour exorciser un certain vécu, ou au contraire pour aller au-delà de soi ?
Si je veux utiliser l’écriture pour exorciser un vécu, je n’en ferai pas une histoire. Je fais ça dans mes carnets. Je n’écris pas d’autofiction. J’écris pourtant à partir de quelque chose de moi. Ça peut être une part d’ombre, une curiosité, un désir fugace, une obsession, ça peut être un morceau de mon imaginaire qui m’amuse, une facette de ma personnalité que j’ai envie de pousser à l’extrême ou simplement d’explorer pour en distinguer les contours.
Je ne dirais pas que c’est pour aller au-delà de moi mais plutôt pour m’explorer moi-même plus en profondeur. Je ne suis pas du tout intéressé par l’écriture biographique qui se préoccupe des événements (toujours anecdotiques à mes yeux) d’une vie, mais je suis insatiable des explorations qui se préoccupent des méandres de la psyché.
Une idée du visage du lectorat ? Est-il simple d’établir une communication avec ses lecteurs ?
Je ne suis pas vraiment sûr de ce que tu mets dans « établir une commnunication ». J’ai rencontré certaines de mes lectrices (je ne crois pas avoir beaucoup de lecteurs hommes). Je ne sais pas si c’est simple d’établir une communication, ni même si j’en établis une. Je publie sur un blog, et j’envoie une newsletter. De temps en temps j’échange avec des lectrices touchées par mes textes.
Comment accorder la vie d’auteur érotique avec une vie plus classique (de famille , de bureau…) ? Faut-il ou non cacher cette activité littéraire ?
Aucune difficulté. Je n’ai pas de vie de bureau et pas de difficulté à assumer la dimension érotique de mes textes. Peut-être que le fait que mes grands-mères m’aient lu et ne m’aient pas renié a-t-il aidé. Quant à savoir s’il « faut » ou non cacher cette activité, c’est une décision qui appartient à chaque individu, en fonction de son contexte. J’ai le privilège de venir d’un milieu très ouvert et soutenant. Ce n’est pas le cas de tout le monde.

Des projets actuels en cours ? Littéraires, ou autres ?
Plein. Cette année, je développe mon travail scénique (je suis clown contemporain). Avec ma co-autrice, nous sommes en train de terminer la réécriture d’un roman dystopique sur les paradigmes romantiques et le couple. J’ai une pile de manuscrits qui attendent que je les finalise et les diffuse, pas forcément érotiques, d’ailleurs.
Les thèmes «sulfureux» sont-ils ton domaine de prédilection ?
Pas du tout. Mon domaine de prédilection, c’est l’expérience humaine, en particulier les expériences fragiles, et les relations humaines. Les histoires de sexe me donnent un espace où ces deux dimensions de l’existence sont facilement concentrées et exacerbées. On est rarement aussi nu émotionnellement que dans l’expression de notre désir.

Pourquoi avoir choisi cette voie ? Quel a été le déclencheur ?
L’écriture ou l’écriture de cul ? L’écriture, c’est venu tout seul dès que j’ai su écrire. La première histoire que j’ai écrite et dont j’ai une trace remonte à mes 6 ou 7 ans. L’écriture m’accompagne depuis toujours et c’était assez évident pour moi de la mettre au centre. Comme elle m’a servi de socle pour explorer tout un tas de facettes de ma vie, la sexualité y a trouvé sa place naturellement.
Je n’ai pas eu à décider d’écrire des textes érotiques, ils ont fait partie de mes explorations littéraires et quand j’ai commencé à publier, j’ai tout aussi naturellement choisi de publier ces textes-là. Pour moi ils ne sont pas différents de, mettons, mes romances, mes histoires de road trips ou mes textes poétiques.
Merci à l’auteur pour ses réponses. Pour en savoir plus sur son travail, visitez son site. Et rendez-vous sur Plume Interdite pour la deuxième partie…