Le questionnaire passé par la plume de l’auteur Anael Verdier. Deuxième partie…
Auteur professionnel, semi-pro, amateur ? Si amateur : l’activité principale est-elle secrète ? Si pro : est-il difficile de vivre de sa plume, de nos jours ?
Écrire est mon seul métier depuis vingt ans. C’est quasi impossible de ne vivre que de mes textes, alors je forme aussi des auteurs. Pour en avoir parlé avec beaucoup de mes pairs, l’écriture reste un métier précaire et peu d’entre nous parviennent à vivre de leurs seules publications.
Quand même un type comme Djian affirme que ce qui lui permet de vivre aujourd’hui, ce sont les contrats de session de ses droits au cinéma et qu’il écrit en pensant à l’adaptation, je pense que ça en dit long sur l’état financier de la profession.
Cet univers littéraire exige-t-il un pseudonyme, ou doit-on assumer ses écrits quitte à dévoiler son identité réelle ?
Là encore, c’est une affaire que chacun doit régler en fonction de son contexte. C’est trop de travail de m’encombrer d’un pseudonyme, mais d’autres y trouvent très bien leur compte.

En quoi ces lectures peuvent-elles nous faire réfléchir ? Nous ouvrir au monde, aux autres ?
C’est impossible de répondre à cette question tant il y a de littératureS érotiqueS. Déjà, on n’arrive pas s’entendre sur la définition d’érotique. Pour beaucoup de personnes, certains de mes textes « érotiques » relèvent de la pornographie parce qu’ils sont crûment explicites.
Par essence, n’importe quel texte qui nous confronte à une altérité nous ouvre au monde… pour peu qu’on le laisse faire.
Livre érotique : simple amusement ou bien outil de développement personnel ?
Ça peut aussi être une expérience esthétique profonde.
On accuse la littérature érotique… d’avoir un style pauvre, un vocabulaire répétitif et des histoires clichés… et d’être uniquement conçue pour exciter. Accusations injustifiées ? Justifiées ?
Tout l’art d’un bon texte érotique n’est-il pas de réussir à exciter autant par son contenu que par sa forme ? Quand l’articulation du texte suscite un plaisir esthétique qui se mêle au plaisir sensuel des situations qu’il développe, on touche à l’orgasme littéraire.

L’I.A. saura-t-elle un jour, selon toi, écrire de vraies belles histoires (érotiques ou non) ? Quel sens tout cela a pour toi ?
L’IA peut déjà écrire de vraies belles histoires, mais elle est incapable de les charger de justesse humaine. Elle se contente pour l’instant d’imiter ce qu’elle a pillé. Quant au sens de l’évolution technologique ? Tout ça me donne l’impression d’une joyeuse autodestruction collective. Comme si l’humanité en avait marre d’exister et avait décidé de précipiter sa fin dans un joyeux bordel rempli de mèmes et d’AI slop ironique.
Un ou deux coups de cœur littéraire, que ce soit en érotique ou tout autre style ?
J’ai sur mon bureau Henry & June. Les journaux d’Anaïs Nin continuent de m’éblouir pour sa volonté à aller se frotter à ses émotions, même les plus brutes. Ma dernière grande claque littéraire, c’est Devenir Nombreux, de Pierre Terzian. Il n’y a rien d’érotique dans ce livre mais une liberté formelle et un fond politique qui m’ont touché.

Dans un polar ou un livre d’horreur, on prend plaisir à imaginer des choses que l’on n’aimerait jamais vivre. Est-ce également le cas en littérature érotique ? Quel est ce mystère ?
Je ne suis pas sûr que je n’aimerais pas vivre ce que j’écris ou lis en littérature érotique.
Je ne lis pas de polars ni de livres d’horreur, les uns parce que je vois trop facilement les ficelles (je préfère mener moi-même les enquêtes, par exemple dans un Escape Room), les seconds parce que je n’aime pas me faire peur (je ne monte pas non plus sur les Grand Huit). Quant au mystère, je crois qu’il s’explique facilement. La fiction nous offre un terrain de jeu où nous pouvons explorer nos émotions en toute sécurité. C’est valable aussi dans la romance, la SF, la fantasy.
Quand tu lis un récit épique, tu n’as pas forcément vraiment envie de brandir une épée et de risquer ta vie dans une bataille désordonnée, mais tu peux vouloir goûter à l’héroïsme qui t’habite, peut-être pour le vivre plus intensément quand tu y seras confronté dans ta vie, dans une situation probablement moins épique, mais tout aussi importante pour ton psychisme.
Je pense que l’humain est curieux de ce qui l’habite mais que les contraintes de la vie et le principe de réalité nous empêchent de tout explorer de ce qui existe en nous. La fiction littéraire est l’un des espaces qui nous permet de compenser ces limites.

Quelle est la limite dans la littérature érotique ? Faut-il des tabous et des interdits, si oui lesquels ?
Je suis partisan d’un érotisme joyeux et ludique. Je n’ai jamais compris le rapport que faisaient certains auteurs entre l’érotisme et la mort. À mes yeux, le sexe et le désir sont les expressions ultimes de la pulsion de vie et des symboles par excellence de la jouissance existentielle.
Partant de là, je prône une littérature érotique de la légèreté et du consentement adulte, de la recherche assumée du plaisir.
Ceci étant dit, je pense que comme toute littérature, l’érotisme peut aussi servir de terrain d’exploration de nos parts d’ombre et d’exutoire à la violence que peut parfois revêtir l’énergie sexuelle quand elle nous déborde et qu’on n’arrive pas à la transformer en source d’exaltation. La littérature peut alors devenir un safe space pour expérimenter l’expérience humaine dans la totalité de ses nuances, y compris les plus sombres.
À ce titre, je serais partisan de ne pas lui fixer de tabou.
Mais interdire ce qui est contraire à la loi et ce qui risque de nuire aux plus vulnérables, oui : tout ce qui relève promotion du viol ou des relations d’emprise, de la pédophilie, de la zoophilie, des phobies ou haines de certains genres ou de certaines orientations sexuelles, tout ce qui n’a pas sa place dans une société humaniste et ouverte aux diversités et soucieuse de ses membres les plus fragiles, je suis favorable à son interdiction.
En quoi cette littérature résonne-t-elle avec la société actuelle, à l’heure entre autres d’un certain retour à l’obscurantisme religieux ?
Dis donc, elles sont super sérieuses tes questions ! Mon côté clown te dira que l’érotisme offre un contre-pouvoir et que face à la montée des extrémismes traditionalistes, le sexe libre est toujours la première ligne de combat, parce qu’il est le lieu de l’intime par excellence, et que c’est le contrôle de l’intime que visent les totalitarismes en premier lieu.
Pour priver l’individu de sa liberté, il faut le priver de sa capacité à penser par lui-même et à jouir de son corps sans entrave. La littérature érotique, en faisant exulter le corps, devient un excellent véhicule pour une pensée libertaire.
Merci à l’auteur pour ses réponses. Pour en savoir plus sur son travail, visitez son site. Et rendez-vous sur Plume Interdite pour la troisième partie…
