. Quelles sont les techniques pour « affronter » une nouvelle ou un roman, le poursuivre coûte que coûte et en venir à bout ?
Je ne connais aucune technique pour venir à bout d’un livre, je ne connais que la volonté. Parfois on n’a pas envie d’écrire, parfois le livre s’enlise, alors l’écriture devient comme la pratique d’un sport: il faut se motiver pour y aller, en sachant à l’avance qu’on sera heureux de s’être forcé une fois la séance terminée. Mais cette volonté ne suffirait pas sans le besoin d’écrire. Quand l’écriture est un besoin, et pas juste un loisir, un faire-valoir social ou que sais-je d’autre, on va au bout de ses écrits.
Ecrire est un plaisir demandant des contraintes. Comment trouver le juste milieu entre contrainte et plaisir ?
A force d’écrire, on connaît la récompense de l’écriture : cette ivresse qui nous prend quand les mots sortent tout seul, qu’on cristallise sur l’écran des idées qu’on ne soupçonnait pas d’avoir. La satisfaction du texte terminé, du contrat d’édition, du livre enfin matérialisé, des retours du lectorat, des droits d’auteurs qui tombent… L’initiation à ce plaisir règle la question de la contrainte, d’autant plus qu’elle est associée au besoin d’écrire dont je parlais dans la question précédente.
Quelles sources d’inspiration pour écrire ? Simplement l’imaginaire, ou bien la vie personnelle, celles des autres, les médias ?
Ecrire, c’est un peu prendre sa personnalité en photo, et notre personnalité est façonnée par notre histoire, notre vécu, nos lectures, les médias auxquels on s’intéresse… Je pense que tout ce qui nourrit l’humain psychiquement et même physiquement nourrit naturellement son écriture.
On dit parfois que tout roman a un côté autobiographique. Ecrit-on pour exorciser un certain vécu, ou au contraire pour aller au-delà de soi ?
En effet, je suis convaincu que quand on écrit, on parle de soi, même si on écrit de la pure fiction. D’un point de vue purement technique, il y a dans l’écriture une dimension psychanalytique : à travers le véhicule des mots, on extrait de notre inconscient des choses qui y étaient enfouies. Il arrive parfois qu’on se demande, en relisant un morceau de texte qu’on a écrit : c’est moi qui ai écrit ça? Avec la sensation de découvrir le fruit de l’écriture comme un objet étrange, qu’on vient de mettre à jour… Tous les gens qui écrivent ont je pense déjà vécu ça.
Une idée du visage du lectorat ? Est-il simple d’établir 1une communication avec ses lecteurs ?
Avec les rencontres en librairie, les salons, les réseaux sociaux, on peut en effet déjà se faire une idée, mais elle n’est jamais parfaite, et c’est tant mieux.
Comment accorder la vie d’auteur érotique avec une vie plus classique (de famille , de bureau…) ? Faut-il ou non cacher cette activité littéraire ?
J’ai réglé le problème d’emblée en décidant d’assumer tout ce que je faisais sous mon propre nom. En tant que journaliste, auteur d’essais, de nouvelles et de livres érotiques ou en tant qu’humoriste et auteur pour d’autres humoristes (mon activité principale), c’est Stéphane Rose qui parle.
Mais c’est facile pour moi car je n’ai pas de vie de famille ni de bureau, puisque je vis de mes écrits. En revanche je comprends très bien qu’on écrive de la littérature érotique sous pseudo. Quand on est prof, ou qu’on exerce un métier où l’on est en contact avec la jeunesse, c’est même hautement conseillé. D’ailleurs vous seriez surpris du nombre d’auteurs jeunesse qui écrivent du cul sous pseudo, mais chut !
Le parcours, le futur…
Des projets actuels en cours ? Littéraires, ou autres ?
Les thèmes «sulfureux» sont-ils ton domaine de prédilection ?
J’ai écrit des livres qui parlent de sexe, de poils, d’amour, de vin, de gastronomie… Rien de sulfureux là-dedans, je suis juste un bon vivant qui s’exprime ! En revanche j’aime le sulfureux en tant que lecteur.
Pourquoi avoir choisi cette voie ? Quel a été le déclencheur ?
J’ai toujours eu deux passions : la musique et l’écriture, que j’ai toujours pratiquées régulièrement en tant que loisir, en éditant mes propres productions avec les moyens du bord. Un jour, un magazine m’a proposé un chèque en échange d’une rubrique mensuelle, ça a été le déclencheur : puisque mes écrits pouvaient valoir de l’argent, j’allais tout mettre en œuvre pour en faire un métier.
Auteur professionnel, semi-pro, amateur ? Si amateur : l’activité principale est-elle secrète ? Si pro : est-il difficile de vivre de sa plume, de nos jours ?
Je vis de ma plume, mais principalement en tant qu’auteur pour humoristes. Si je voulais vivre décemment de mon activité d’écrivain, il faudrait que je sorte un livre par mois, et j’en serais bien incapable.
La littérature érotique en général…
En quoi ces lectures peuvent-elles nous faire réfléchir ? Nous ouvrir au monde, aux autres ?
Nos fantasmes étant en prise directe avec notre inconscient, la sexualité est une porte d’entrée vers la connaissance de soi, et vers la connaissance des autres. Résultat : même si on lit de la littérature érotique pour s’émoustiller, on se retrouve souvent sans le savoir embarqué dans une exploration qui va bien au-delà de la zone sexuelle…
On accuse la littérature érotique… d’avoir un style pauvre, un vocabulaire répétitif et des histoires clichés… et d’être uniquement conçue pour exciter. Accusations injustifiées ? Justifiées ?
C’est sûr qu’il y a beaucoup de production, mais si l’on trie le bon grain de l’ivraie, on tombe sur de la vraie littérature, et peu importe qu’elle soit conçue pour exciter : comme toute autre forme de littérature, la littérature érotique nous renseigne sur le monde, car la sexualité est une part du monde, et une part importante ! Derrière chaque crise, chaque guerre, chaque conquête de pouvoir se cachent des névroses sexuelles, ça saute aux yeux.
L’I.A. saura-t-elle un jour, selon toi, écrire de vraies belles histoires (érotiques ou non) ? Quel sens tout cela a pour toi ?
Je m’intéresse à l’IA depuis les débuts de Chat GPT, j’ai même écrit un livre de conversation avec Chat GPT en 2023 (“Mes nuits avec une intelligence artificielle – Conversations avec Chat GPT”, au Cherche-Midi), et deux ans seulement après la parution de ce livre, les progrès de Chat GPT sont colossaux. A l’aune de ces progrès, il ne fait pour moi aucune doute que l’IA va réussir à sortir de la vraie littérature un jour, même si on en est encore loin. Sa seule limite est qu’elle est paramétrée pour ne choquer personne, et on n’écrit pas de bonne littérature avec des bons sentiments. Mais si ce verrou saute…
Vision personnelle de la littérature…
Un ou deux coups de cœur littéraire, que ce soit en érotique ou tout autre style ?
Dernier (gros) coup de cœur en date: Une vie de Saint, de Christophe Siébert, au Diable Vauvert. Une uchronie foisonnante qui raconte l’histoire d’un pays imaginaire corrompu jusqu’à la moëlle, avec beaucoup de sexe et de décadence, même si ce n’est pas un roman érotique, mais peu importe les étiquettes, le sexe fait partie de la vie. Ceci dit, il faut saluer le Diable Vauvert pour avoir publié un livre avec autant de cul en littérature générale, c’est rare chez les éditeurs traditionnels, qui brillent volontiers par leur pudibonderie.
Dans un polar ou un livre d’horreur, on prend plaisir à imaginer des choses que l’on n’aimerait jamais vivre. Est-ce également le cas en littérature érotique ? Quel est ce mystère ?
Ou alors, on lit des livres érotiques pour avoir des idées qu’on n’aurait jamais eues ? Je laisse la question ouverte !
Littérature érotique et société…
Quelle est la limite dans la littérature érotique ? Faut-il des tabous et des interdits, si oui lesquels ?
Aucun, sinon ce n’est plus de la littérature.
La création personnelle dans son ensemble…
. Faut-il écrire selon le souhait du lectorat ? Ou bien selon ses propres envies ?
Certaines plumes font du marketing et répondent à la demande, je ne les juge pas, mais je ne les lis pas non plus. Je préfère lire celles qui imposent l’offre.
Sexe et société…
. Familles recomposées, sites de rencontres, dénonciation du harcèlement, banalisation de la pornographie… en quelque décennies, notre image du sexe et de l’amour a été chamboulée. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Le monde change, ça tangue pas mal, mais tant qu’on vit une vie amoureuse et sexuelle conforme à ce que l’on est, sans se trahir, tout va bien, non ?
Que faire face à cette misère sexuelle touchant toutes les couches de la population ? Pourquoi tant de laissés pour compte ?
J’ai l’impression que c’est une loi aussi cruelle que vieille comme le monde. Pourquoi ? Ça mériterait un livre entier. Mais plus laconiquement, face à la frustration (sexuelle ou autre), la remise en question donne souvent de meilleurs résultats que l’aigreur.
Le pouvoir et l’argent, formidables alliés sexuels : vérité dérangeante ou affreux cliché ?
C’est une évidence absolue, que j’ai pu constater à ma petite échelle à chaque fois que j’ai eu un peu de pouvoir ou de lumière, ou pire, en fréquentant professionnellement des gens un peu célèbres. L’erreur serait en revanche de considérer qu’on ne baise pas si l’on n’a ni pouvoir, ni argent.
Toujours passer par la séduction, la drague et la discussion pour en venir au sexe : hypocrisie à proscrire ou jeu charmant ?
Chacun fait comme il veut et comme il peut. Mais considérer la discussion comme une étape obligée, c’est un peu triste, parce que c’est potentiellement très excitant, une discussion. Le meilleur des préliminaires, en fait.
. Différences hommes-femmes… Biologie ancestrale ou construction sociale ? …Ou peut-être un peu des deux ?
Je vais te faire une réponse de normand mais c’est exactement ce que je pense : à mon humble avis, le déconstructionniste obsessionnel qui décrète que tout est construction sociale, et le conservateur obtus qui affirme que tout est biologie, ont raison (et donc tort) tous les deux. C’est un mélange des deux. Donc plutôt que se foutre sur la gueule et épuiser leur énergie vitale dans des querelles idéologiques lassantes, ils feraient mieux de baiser l’un avec l’autre, ils ne seraient pas à l’abri d’une bonne surprise.
Qu’est-ce qui pourrait rendre notre rapport à l’autre plus sain ?
Plutôt que de vouloir appliquer tes valeurs (c’est-à-dire tes croyances, car les valeurs sont toujours des croyances) au monde entier, contente-toi de te les appliquer à toi-même sans faire chier l’autre.
. Faut-il réaliser ses fantasmes ?
Je sais qu’il est coutume de dire qu’il ne faut pas, mais en ce qui me concerne, à chaque fois que j’ai réalisé un fantasme, non seulement l’expérience a été heureuse, mais elle a enrichi durablement ma vie sexuelle.
Un souvenir sexuel particulier à nous partager ? (Formidablement intense, ou au contraire incroyablement décevant)
Un souvenir d’enfance. J’étais à l’âge où on commence à se masturber, je devais avoir 12 ou 13 ans, et en vacances à la mer, je ne sais plus où, je tombe sur deux personnes en train de baiser derrière une dune. Je me suis branlé en les regardant, et bien que n’étant ni croyant, ni pratiquant, j’ai remercié Dieu pour ce cadeau divin.