Karine et William aiment écrire ensemble, bien qu’un certain nombre de kilomètres les sépare. Entrons un peu dans leur univers…
Théo – Votre série érotique « Lily » se veut à la fois légère et surprenante. Quelle évolution souhaitez-vous lui donner ? Avez-vous déjà prévu une fin fermée, ou bien garderez-vous la porte ouverte à de prochaines aventures ?
K : Légère et surprenante, j’aime beaucoup ce descriptif !
Nous voulions une vraie histoire, moderne, légère, à l’intérieur de laquelle viendraient se greffer des passages érotiques. Nous souhaitions un ensemble harmonieux et réaliste pour que les lecteurs puissent s’identifier aux personnages et vivre à travers eux des situations originales. Il nous a fallu neuf épisodes (trois saisons de trois épisodes chacune) pour raconter l’histoire de Lily. Et nous tenions à ce que cette histoire ait une fin.
W : Mais aucune histoire n’est jamais totalement finie, et plusieurs personnages ont suscité l’intérêt des lecteurs, alors qui sait ?
Théo – Le personnage de « Lily », est-ce un peu vous ?
K : Il y a toujours un peu de l’auteur dans ses personnages, vous ne pensez-pas ? Si physiquement Lily est l’opposé de moi-même, je lui ressemble par certains traits de caractère, comme je ressemble à Déborah, l’autre personnage féminin majeur de la série, par d’autres aspects. Et les personnes qui connaissent William vous diront que l’on retrouve une part plus ou moins approfondie de lui dans chaque personnage masculin !
Pour que les actions et les réactions de nos héros soient cohérentes, il faut puiser dans notre propre vécu et nos propres envies, angoisses, rêves… Et la fiction nous permet de varier le champ des possibles !
W : Ce n’est pas qu’une question de sexe. Lily me ressemble également beaucoup, notamment par sa curiosité et son ouverture d’esprit.
Théo – Vous vivez éloignés l’un de l’autre, est-ce contraignant ? Douloureux ? Comment gérez-vous cela ?
K : Il s’agit d’un choix commun qui, de ce fait, ne pose aucun problème et ne provoque aucune souffrance. Il s’agit juste d’une manière différente de concevoir le couple et la notion de vie à deux.
Pour ce qui est de l’écriture, travailler à quatre mains est déjà une gageure. Surtout quand on connaît mon mauvais caractère ! Dans notre cas, la distance serait donc plutôt un avantage. Elle nous permet de bien travailler chacun de notre côté, de réfléchir plus tranquillement et d’exposer nos idées sans que l’autre auteur ne viennent perturber, si je puis-dire, le fil de ses réflexions.
W : Et il y a surtout que nous ne travaillons pas de la même manière. Karine est capable d’écrire dans n’importe quel environnement, faisant une abstraction totale de ce qui l’entoure. Ce qui n’est pas tout à fait mon cas.
Théo – Et comment procédez-vous pour écrire à 4 mains ?
K : La plupart du temps, l’idée de départ émane de William. Je lui dis souvent qu’il est « une vraie boîte à idées », ça l’amuse, mais c’est exactement ce qu’il est !
De cette idée naissent quantité de possibilités, chacun de nous développant oralement ce qu’elle lui évoque, y ajoutant sa touche, des détails, etc… et l’histoire avance petit à petit, jusqu’à ce que la trame nous séduise tous les deux. Ces discussions ont souvent lieu dans des endroits insolites, hall de gare, bistro, plage, et peuvent durer des heures ! Parfois l’idée ne mène à rien, parfois elle ressurgit six mois plus tard et parfois elles débouchent sur un livre.
Pour écrire l’histoire, nous procédons de la même manière. William commence et m’envoie le fichier, puis je continue, modifie, ajoute mes propres idées, et petit à petit, l’histoire se construit en suivant plus ou moins la trame fixée au départ.
Travailler à deux est très enrichissant. J’aime ces échanges passionnés, ces discussions jusqu’au bout de la nuit, et ce qui en découle. J’apprécie tellement tout cela que parfois je m’oblige à écrire un texte seule, histoire de vérifier que je suis encore capable d’inventer une histoire sans l’aide de ma « boîte à idées » !
W : Nous avons essayé plusieurs méthodes, jusqu’à écrire en même temps sur le même texte (merci la technologie) mais aucune ne marchait réellement bien. On a donc laissé l’équilibre se faire naturellement pour aboutir sur notre technique actuelle qui fonctionne parfaitement.
Théo – Polar et suspense font partie de votre univers littéraire. La tension sexuelle que l’on peut ressentir dans un livre est-elle comparable à la tension liée à une énigme policière ?
W : Le désir, l’excitation, le plaisir, la joie, mais aussi la peur, l’angoisse, la tristesse, la déception, sont des sentiments profonds qui nous bouleversent.
Quelle que soit l’histoire, on aime la fébrilité qui s’empare de nous à l’approche d’un passage particulièrement riche en émotions. Car ce sont ces moments-là qui nous font nous sentir vivants et qui nous donnent envie d’aller plus loin dans l’aventure.
N’oublions pas que derrière chaque écrivain se cache un lecteur, je dirais même doit se cacher un lecteur, car ce n’est qu’à la condition d’avoir soi-même vécu ce sentiment de passion qui nous attache à un livre que l’auteur est à même de le recréer le moment venu.
K : Je n’aurais pas dit mieux.
Théo – Est-il préférable pour vous de donner de nombreux détails crus, ou bien plutôt laisser sous-entendre sans tout décrire, afin de laisser le lecteur imaginer ?
K : Avec William, nous avons longuement discuté d’érotisme, de pornographie, de sensualité avant de choisir dans quel registre nous souhaitions nous situer. Je dirais que le terme qui définit le mieux notre style est « porno-soft ». Au risque de choquer, l’érotisme plan-plan m’ennuie. Mais le porno peut se révéler grossier, trop cru, voire écœurant.
W : Nous nous situons donc entre les deux, sur une ligne imaginaire à la frontière de la pornographie. Nous aimons entrer dans les détails, raconter les sensations, les détails intimes, pour que le lecteur ait en tête des images précises, comme s’il regardait un film X. Mais nous le faisons avec sensualité, finesse et sans vulgarité.
Théo – Partez-vous plutôt d’une idée très « sexuelle » afin d’en bâtir une histoire, ou bien partez-vous d’une trame plus « classique » afin d’en faire un déroulement affriolant ?
K : La vie ne se construit pas autour du sexe. Le sexe naît de la vie.
W : Donc, nous imaginons d’abord la trame de fond, qui n’est pas forcément classique d’ailleurs. Il nous arrive même souvent de construire mentalement toute la vie d’un personnage qui ne sera que secondaire et de ne lui attribuer une sexualité qu’en dernier lieu.
Théo – Pour vous, l’époque actuelle témoigne-t-elle d’une société dans la frustration et la misère sexuelle, ou bien plutôt d’une société libérée ? Dans un cas comme dans l’autre… pourquoi donc ?
K : Et pourquoi pas les deux ensemble ? Je trouve notre société particulièrement libérée et je pense que c’est de là que proviennent la frustration et la misère sexuelle actuelle.
À l’heure où il suffit à n’importe quel adolescent de taper « fellation » sur son clavier d’ordinateur pour voir apparaître une succession de sites porno proposant toutes les fellations possibles et imaginables, ou inimaginables d’ailleurs, comment voulez-vous qu’il n’y ait pas de misère sexuelle ? Car les sites versent dans la surenchère et leur contenu est de plus en plus trash. Et que dire de l’image de la femme ? Qu’elle n’a pas évolué depuis trente ans ? Non. Elle a empiré. Les actrices porno sont de plus en plus violentées, soumises, humiliées, et le spectateur souvent jeune, s’imagine que c’est ça, la femme d’aujourd’hui. Alors oui, il s’agit d’un film, oui, elles sont consentantes, et oui, ce sont des actrices. Mais allez expliquer ça à un puceau de dix-sept ans qui ne sait même pas à quoi ça ressemble, une vraie fellation, faite avec désir et passion par une vraie femme amoureuse.
Car celle que j’appelle la femme d’aujourd’hui est une femme libérée des diktats que la société patriarcale imposait il y n’y a encore qu’une vingtaine d’années. Elle assume sa vie, mais aussi son désir et sa sexualité. Elle veut aimer et être aimée, et ne se soumet que si c’est son choix. Et elle s’attend à ce que l’homme comprenne tout cela et la respecte.
La misère sexuelle que vous évoquez est donc bien d’actualité. Les hommes sont dépités de ne pas avoir dans leur lit une femme prête à tout pour les faire jouir, et préfèrent regarder une vidéo sur Youporn, fantasmer tranquille et prendre leur pied, et les femmes se sentent délaissées, incomprises, et frustrées… C’est une question que je trouve particulièrement intéressante. Mais je m’emporte facilement si on m’entraine sur ce sujet. Je suis féministe, paraît-il !
W : À trop avoir, on finit par ne plus apprécier les choses à leur juste valeur.
Théo – Dans le monde très foisonnant de l’édition et de l’auto-édition, votre existence en tant qu’auteur est-elle… simple, plaisante, compliquée ?
K : Simple. Je ne me pose pas de questions. J’écris surtout pour être lue, vendre est le bonus. D’où les livres gratuits mis à disposition sur ma page Iggybook ou sur nos Facebook.
Quant aux rapports que nous entretenons avec nos deux maisons d’éditons, ils sont des plus classiques. Nous envoyons nos textes, ils sont acceptés (pour l’instant nous n’avons eu qu’un seul refus, et il était parfaitement justifié) et voilà !
W : Vaste sujet que celui du monde de l’édition, que ce soit en tant qu’auteur ou de lecteur d’ailleurs. Nous pourrions en parler des heures durant. Mais pour résumer mon ressenti, l’édition numérique a encore beaucoup de mal à prendre son envol et à acquérir ses lettres de noblesse. Les lecteurs restent encore très attachés au livre papier traditionnel. Peut-être que le livre numérique devrait évoluer pour offrir quelque chose que le papier ne peut pas offrir. Je pense à un fichier audio, par exemple.
Théo – Est-ce qu’écrire des histoires sensuelles vous « excite » en un sens, ou bien n’est-ce qu’un exercice purement intellectuel et littéraire ?
K : Pour être honnête, il m’est arrivé quelques fois d’être excitée par une scène que j’étais en train d’écrire parce qu’elle correspondait à mes goûts personnels ou à un fantasme précis. Au même titre qu’une scène particulièrement émouvante peut me mettre la larme à l’œil car je partage les émotions de mes héros.
Ceci dit, raconter un meurtre sanglant ne me donne pas envie d’aller décapiter mon voisin !
W : Quoique, par moment, la tentation soit bien forte !
K : Tu plaisantes ? Oui, il plaisante !