Deuxième partie de notre série d’entretiens avec des auteurs publiant des nouvelles et romans érotiques. Cette semaine, faisons connaissance avec ChocolatCannelle.
THÉO KOSMA – De quelle façon dirigez-vous la collection e-ros, aux éditions Dominique Leroy ? Que recherchez-vous lorsque vous découvrez un nouveau manuscrit ? (Un plaisir littéraire, une excitation, des interrogations… ?)
CHOCOLAT CANNELLE – Comment je dirige cette collection ? Pas trop mal, j’espère… Les auteurs ne se plaignent pas trop de moi pour le moment 😉 J’essaie en tout cas d’être à leur écoute. Je fais du mieux que je peux, ce n’est pas parfait, je manque parfois de temps pour lire leurs textes, mais je m’efforce de répondre rapidement s’il s’agit de questions d’ordre pratique par exemple.
Ce que je recherche : lire un texte bien écrit avant tout ! Beaucoup de manuscrits sont des textes boiteux, mal organisés, qui utilisent un vocabulaire pauvre, à la syntaxe parfois déficiente. De plus en plus de personnes écrivent, c’est bien dans un sens, mais tout n’est pas publiable parce que tout ne relève pas véritablement d’une démarche littéraire. On rédige tous des textes, je le fais en ce moment, ce n’est pas pour cela qu’il faut vaille que vaille l’éditer.
Bref, j’aime découvrir tout d’abord des textes écrits dans un bon français. Puis vient le reste : l’originalité, les thèmes qui sont creusés, la progression du récit. Osons même le terme de « style », ce qui rend le texte particulier, ce qui le fait sortir du lot. Il y a enfin un degré de subjectivité, l’attrait qu’il exerce chez moi ; il m’est alors difficile d’expliquer ce que je recherche précisément. Une harmonie ?
THÉO KOSMA – Vous parlez beaucoup d’érotisme sur votre blog, mais pas uniquement. Il est logique qu’une auteure n’ait pas que l’écriture sensuelle dans son quotidien 🙂 Craignez-vous parfois d’être trop cataloguée « auteur éro » ? Est-ce une situation pouvant être délicate à vivre ?
CHOCOLAT CANNELLE – J’avoue que je ne sais pas très bien comment je suis cataloguée, car j’ai du mal à me cataloguer moi-même. Suis-je « la directrice des collections e-ros et De fil en soie », suis-je auteure érotique, blogueuse érotique ou plus généraliste, blogueuse littéraire, lectrice… ? Un peu tout à la fois. Personne ne se réduit à une activité.
Je ne sais pas comment on me voit. Cela doit dépendre des personnes, des points de vue. Peu importe si on ne distingue qu’un seul aspect et qu’on ne sait pas que je fais d’autres choses.
Le fait d’être auteure érotique n’a rien de délicat à vivre, toutes ces activités que je cite sont le fait de ChocolatCannelle, un pseudonyme, une partie de moi, que je laisse de côté lorsque j’effectue d’autres activités. C’est comme si j’avais plusieurs vies qui se superposaient, et ces vies sont relativement imperméables. Si je souhaite écrire autre chose que du « ChocolatCannelle », eh bien, je prends un autre nom, une autre peau…
THÉO KOSMA – Dans vos histoires, on sent que vous cherchez à créer la surprise, un peu (selon moi) à l’instar des nouvelles de Roald Dahl ou des épisodes de Twilight Zone. Est-ce pour vous un principe ? Par quel cheminement recherchez-vous ces touches de singularité ?
CHOCOLAT CANNELLE – Roald Dahl, ça va, je connais au moins un peu, mes enfants ont une petite collection de ses romans, mais par contre « Twilight Zone » est un inconnu pour moi…
Je ne dirais pas que je cherche à créer la surprise. S’il y en a, tant mieux, c’est toujours intéressant, quand on est lecteur, d’être bousculé, surpris par un texte. Ce que je cherche surtout, c’est de m’amuser, de créer des situations saugrenues, et peut-être d’amuser le lecteur – encore que, je ne garantis pas que cela fonctionne.
J’aime créer des situations loufoques, c’est certain…. mais aussi des scènes de sexe qui se situent en dehors des convenances, de la bienséance. On vit en suivant tant de règles, il y a tant de pusillanimité dans les relations humaines alors que l’on pourrait partouzer joyeusement avec ses voisins si l’envie nous prend, non ? Qu’est-ce qui nous en empêche ? Imaginez qu’il n’y a plus de barrières ou que subitement celles-ci se lèvent pour un personnage. Où cette forme de liberté sur sa vie, sur son corps, sur ses pensées mènerait-elle ? Vers quelles extravagances pour nous, lecteurs, cela conduirait-il, alors que tout semblerait naturel pour ce personnage qui vit sans jugement moral sur ses actes (à partir du moment où il ne cède qu’à des pulsions partagées par d’autres, le bon vouloir et le désir étant pour moi des moteurs nécessaires) ?
Mes personnages sont parfois ainsi particulièrement innocents, parce qu’ils vivent dans une sorte de monde parallèle où tout est possible d’être vécu, du moins sexuellement, du moment qu’on souhaite le vivre ou que l’on n’a aucune objection à formuler si autrui nous invite à partager une intimité prolongée (« baiser » si vous préférez ce terme, mais je m’amuse parfois avec les périphrases). Ces personnages semblent naïfs, parfois exploités par autrui, parce que le mode de pensée de chacun est différent et que d’autres personnages ont les pieds ancrés dans notre mode de pensée commun.
Ils sont cependant aussi parfois curieusement manipulateurs pour arriver à leur fin, parce que cette vie parallèle où tout semble possible peut être aussi une pathologie (et pour le motif de la pathologie, je pense à mes textes Journée d’une nymphomane in Osez 20 histoires d’amour et de sexe, à Consultation in Osez 20 histoires de sexe à plusieurs aux éd. La Musardine, ou encore à Journal d’une sexothérapie aux éd. Dominique Leroy…) Tout cela me hante ; écrire c’est (parfois) essayer d’accoucher de ses obsessions.
Mais bon, tout ceci ne correspond qu’à une veine de mes textes (en dehors des titres cités ci-dessus, on peut ajouter par exemple Nathalie et ses bonnes œuvres aux éd. Dominique Leroy, que j’ai eu énormément de plaisir à écrire). J’écris aussi des textes plus « admissibles », moins farfelus. J’ai parfois besoin de conserver une norme. Tout dépend de mon état d’esprit au moment de l’écriture, de mes envies.
THÉO KOSMA – Les gens que vous croisez ou avez croisés vous inspirent-ils, dans vos histoires ? Les mettez-vous en scène d’une façon ou d’une autre (eux, leurs souvenirs…).
CHOCOLAT CANNELLE – Oui, bien sûr, des traits de caractère, des particularités physiques… toute personne que je croise peut apporter un élément, mais un élément seulement, jamais un personnage ne sera une copie conforme d’une personne réelle. Les lieux aussi, pas seulement les personnes !
THÉO KOSMA – Aimez-vous concevoir des histoires que vous ne pourriez jamais vivre, ou au contraire que vous avez vécues… ou tout du moins pourriez vivre un jour ?
CHOCOLAT CANNELLE – Je n’ai jamais vécu ce que j’ai écrit, évidemment. Je me sers de certains éléments pour composer une histoire, mais c’est comme les personnages rencontrés, les lieux dans lesquels je me suis rendue : je pars d’une base qui peut être réelle, cela ne signifie en rien que l’histoire racontée a eu une réalité tangible du début à la fin. Quant à les vivre, je dirais que je ne suis pas mes personnages. Quelle probabilité pour que ma vie se conforme à un écrit ? C’est quasiment nul. Une nouvelle n’est pas un mode d’emploi. Certains modes de pensée de personnages me sont proches ou relèvent parfois de fantasmes personnels, c’est à peu près tout ce que je peux dire.
THÉO KOSMA – L’écriture est-elle toujours un plaisir ? A-t-elle également une part de souffrance et de contrainte, si oui à quels moments ?
CHOCOLAT CANNELLE – Je ne m’oblige à rien, si bien que lorsque je ne trouve aucun plaisir dans l’écriture, je n’écris pas, tout simplement.
THÉO KOSMA – Vous imposez-vous d’écrire tous les jours, ou bien votre plume est-elle davantage libre ?
CHOCOLAT CANNELLE – Cela rejoint ma réponse précédente. Totalement libre. Enfin, non, pas tout à fait, il y a des moments où j’aimerais écrire alors que je ne le peux pas, que je n’en ai pas le temps. Sans compter que parfois rien ne vient, je ne sais pas quoi raconter, alors je laisse tomber pour un moment où une idée aura véritablement germé.
THÉO KOSMA – Certains ouvrages tels que « Tigre Tigre » ou bien entendu « Lolita » ont fait scandale. Quelles sont pour vous les limites de la littérature explorant le domaine du désir ?
CHOCOLAT CANNELLE – Il n’y en a pas ou il ne devrait pas y en avoir, puisqu’il s’agit de littérature et non de réalité. Les pires textes scatologiques peuvent exister. Des histoires d’inceste peuvent exister. La littérature ne devrait pas être jugée sur sa moralité (elle l’est – hélas ! – très souvent, comme si l’auteur devait garantir que les personnages de son texte sont « attachants », comme si les personnages devaient posséder un certificat de bonne conduite. Mais enfin, si c’était le cas, la littérature serait ennuyeuse !)
Par contre, je n’écris pour ma part que ce que j’ai envie d’écrire, et je sais où je vais et où je n’ai pas envie d’aller. Il n’y a rien de scandaleux dans mes textes – du moins il me semble. C’est parfois outrancier (mais parfois seulement), mais mon but n’est pas de choquer. Je préfère divertir. Ou exposer sous de multiples formes ce que seraient des situations de sexualité dans un monde avec un système de pensée différente du nôtre donc, pour reprendre ce que je disais plus haut.
THÉO KOSMA – Quelle place occupent les jeux sexuels, sextoys et mises en scène dans votre imaginaire ? Pourquoi ces éléments vous plaisent-ils ?
CHOCOLAT CANNELLE – Je crois bien n’avoir jamais utilisé de sextoy dans mes textes, mis à part dans La seconde vie d’un olisbos (in Jeux d’amants de Collection Paulette) parce que le jeu était justement la thématique imposée (et puis je venais de lire des contes érotiques chinois dans lesquels peuvent figurer des godemichés, ces « petits hommes de bois » propres à satisfaire les épouses délaissées, et cela m’a inspiré sur le moment) et dans Aux Plaisirs de Déborah (un texte tendre et délicatement érotique comme j’en écris peu, publié chez Rose Bonbon), parce qu’une femme est en quête de sa féminité et trouve par ce moyen l’occasion de se « remettre en selle » en quelque sorte, de se faire plaisir tout d’abord, retrouver la joie de vivre et ainsi redevenir désirable pour autrui. Oh, j’allais oublier aussi une scène dans Journal d’une sexothérapie ! Mais c’est assez anecdotique.
Par contre, en dehors des sextoys à proprement parler, je suppose que beaucoup de textes en effet proposent des mises en scène. Ils créent un cadre, il faut un lieu spécifique, un « hors monde » : un lieu de vacances (Vacances à l’auberge rose aux éd. Sous la cape) un bar-hôtel dans À L’Estaminet, Enquête sexuelle, un château isolé dans Orgie au château de Bonpré, (tous deux republiés, avec d’autres, dans un même livre papier intitulé Cinq Affaires classées X aux éditions Dominique Leroy) etc.
Parmi les jeux sexuels, l’exhibition arrive en tout premier. Le double jeu de l’exhibition et du voyeurisme est une pratique qui me fascine, à laquelle je suis particulièrement sensible. J’ai toujours pensé d’ailleurs que l’écriture, du moins chez moi, est une forme d’exhibition. Et que suis-je en train de faire, en ce moment même, en répondant à ces questions, si ce n’est exhiber ce que je suis ?
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