Chambre de fille aux rideaux toujours ouverts…

Certains lecteurs me disent que cette personnage, Agathe, leur fait songer à une autre personnage de mes histoires, Chloé. Ces deux filles (fictives ? Réelles ? Ou bien entre les deux ?) ont, il est vrai, le point commun d’avoir une enfance assez joueuse et coquine face aux garçons de leur âge…

Mais retournons un instant dans mon enfance, car c’est là qu’il faut remonter pour que Jarod et Benny fassent leur apparition. Vers mes onze ans, un triste et curieux phénomène apparut dans notre arrondissement : la venue de sans-abri. J’étais sans le savoir issue de la génération de la crise, et celle-ci commençait à être visible partout. Si mes parents en étaient horrifiés, ce n’était pas tant par compassion que parce qu’ils se trouvaient là, à nos portes.

Plus d’une fois mon père appela la mairie ou le commissariat pour demander d’intervenir, plus d’une fois on lui répondit qu’on ne pouvait rien y faire. Où donc expulser celui qui l’a déjà été ? Parmi ces âmes perdues on comptait Benny, un vieux quinqua original, ainsi qu’une famille de l’Est dont l’un des garçons se faisait appeler Jarod.

Jarod était un enfant comme moi, à ceci près qu’il n’était pas sorti d’un ventre fortuné, loin de là. Autant dire qu’il n’était né ni au bon endroit ni au bon moment et qu’il lui fallait subir une vie brutale au jour le jour. Le garçon vivait par-ci par-là avec ses parents, son frère et ses trois sœurs. La journée, tantôt ils faisaient la manche, tantôt ils nettoyaient les vitres des voitures. On les soupçonnait, à tort ou à raison, de mener d’autres activités moins recommandables.

Moi je disais que ce n’était pas vrai. Et je mentais en le disant, ayant déjà vu Jarod et ses sœurs faire discrètement les poches d’une touriste américaine. C’est là qu’il se rendit compte de mon existence pour la première fois : voyant que j’avais vu, il me dévisagea et parut comme touché.

Peut-être y avait-il longtemps qu’on ne lui avait pas envoyé un regard autre que haineux.

Mes yeux étaient doux, compassionnels. En vérité, la gosse que j’étais trouvait plutôt rigolo de voir une riche touriste ainsi détroussée. Surtout quelques instants après, lorsqu’elle s’en aperçut et hurla « oh my god oh my god » à travers la rue, avec tout le monde se retournant sur elle.

La nuit, la famille créchait là où on daignait accepter sa présence. Je ne savais pas toujours où… Toujours est-il qu’ils se mirent à fréquenter notre quartier. Les croisant de temps à autre, je m’arrêtai un jour devant Jarod et ses sœurs, alors que je me promenais avec un ballon. On y joua ensemble une bonne heure durant, ce qui me donna l’occasion de connaître le prénom de ce petit rom, d’en savoir un peu plus sur lui, bien qu’il restât fort discret. Je jouai de nouveau avec lui les jours suivants, puis mon père le vit, ce qui fut l’occasion de ma première gifle.

Toute approche me fut proscrite. Faut dire, j’avais joué avec ma petite robe blanche du dimanche, courte, qui s’était du coup salie un peu, froissée beaucoup, et puis en courant et sautant elle s’était pas mal soulevée, forcément, et ma culotte assortie avait dû beaucoup se voir.

C’est leur faute aussi,

pourquoi m’acheter du si court et du si moulant ?

Moi je voulais bien, avec plaisir même, mais il ne fallait pas se plaindre après si les garçons me regardaient, qu’ils soient enfants de millionnaires ou de gitans. Voilà toute l’affaire, si on vous apprend aussi jeune à faire la salope que voulez-vous devenir plus tard ? Maman était plus douce, je n’en avais pas spécialement peur…

Papa si, et je me gardai bien de remettre ça. Dommage, vraiment, Jarod aurait pu devenir un ami d’enfance et on nous en empêcha sans raison. Il devait avoir à peu près mon âge, peut-être une année de moins ou une de plus. Comment savoir ? Il y avait en lui un poupon et un vieillard. Son allure était celle d’un vieux (par « vieux », entendez un trentenaire, c’était mon regard de l’époque). Son visage avait des traits rudes, creusés, rougis. Autant de marques d’un quotidien sans concession, enveloppées dans une petite bouille d’ange. Ses yeux étaient noirs et perçants, et pourtant tristes, presque ceux d’un poète. Le tout lui donnait un âge indéterminé.

Laissons Agathe et découvrons à présent quelques nouveaux épisodes de Dialogues Interdits

Fin de semaine

— Toi qui es la meilleure copine de Chiara… Tu peux me dire pourquoi elle fait jamais aucune rencontre, dans ce camping naturiste ?

— Aucune rencontre ? Mais elle fait partie de la bande, non ? Tu la fréquentes tous les week-ends, tu devrais en savoir quelque chose.

— Je veux dire. Heu, enfin…

— Ah, tu parles de sexe ?

— Oui : elle couche jamais.

— Tu veux dire qu’elle ne couche jamais avec toi.

— Elle couche avec les autres mecs sans que je le sache ?

— Je ne crois pas. Mais tu sais elle a une vie d’étudiante très citadine en dehors de ces fins de semaine dans la nature… Tu vois ce que je veux dire ? Sorties, regards…

— Voilà, c’est ce que je cherchais à savoir : elle a un petit copain en ville ?

— Un en particulier je saurais pas dire.

— Ce que je comprends pas, c’est qu’elle la joue frivole. Elle est tactile, reste nue bien plus souvent que nous, se frotte, nous allume un peu… Et ça s’arrête là.

— T’as pas encore compris ? Au camping elle vient recharger ses batteries pour la semaine.

— Oui, comme nous tous.

— Ses batteries sexuelles. Elle vient augmenter sa libido.

Le vent, l’eau et le soleil contre sa peau nue, votre drague, les jeux de chatouilles et de frottements… Tout ça l’excite. De plus en plus. Le dimanche soir elle déborde de mouille, n’y tient plus, et le lundi puis tous les autres jours de la semaine, elle se jette sur son amant. Ou ses.

— Tu penses vraiment ? …Tu crois ?

— Je ne crois rien : je sais.

— Elle nous utilise. Merde alors. Quitte à être utilisé par une fille j’aimerais au moins être la fusée qui l’emmène au septième ciel. Là, je ne suis que le carburant !

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