Deuxième partie du questionnaire Plume Interdite de l’auteure Anne Vassivière…
(Image de couverture, crédit photo : Abigail Auperin)
Une idée du visage du lectorat ? Est-il simple d’établir une communication avec ses lecteurs ?
Le lectorat de littérature érotique a changé depuis quelques années car nombre d’auteurs sont maintenant des autrices. La majeure partie des écrits étant jadis dus à des hommes, ils proposaient des situations qui leur plaisaient à eux, le désir de la femme était ignoré ou simplement calqué sur ce que l’homme en imaginait. Simplifié à outrance et caricaturé. Certains écrivains prenaient même des pseudonymes féminins pour écrire. Depuis que les femmes se sont emparées de la littérature érotique, on a vu naître des propositions littéraires différentes, à savoir l’expression du désir et du plaisir féminin dans toute sa variété. Et non plus uniquement phallocentré.
C’est ainsi que les autrices ont permis à des lectrices de s’intéresser au sujet : on ne leur parlait plus seulement des plaisirs des hommes, on leur parlait du leur, et elles se sont mises à lire cette littérature portée par des femmes.
Le lectorat s’est féminisé parce que les plumes se sont féminisées aussi.
Je parle là des romans et des nouvelles, car les bandes dessinées, par exemple, restent en immense majorité lues par des hommes.
Le lectorat féminin balaie également un large spectre en termes d’âge, ce qui est une bonne nouvelle. Les jeunes femmes se réapproprient ce domaine de leur existence, ce qui constitue une base saine pour construire leur vie. D’autres lisent ce genre de littérature pour réparer leur vie intime.
Cela vaut aussi pour les essais.
Dans mon dernier ouvrage en date, 122 rue du chemin vert, j’explore non seulement le rapport au texte érotique, mais également la composition du lectorat.
La communication avec les lecteurs/trices est aisée si on est sincère, si on laisse la honte au placard. En tout cas si on la regarde avec générosité et sans jugement.
Comment accorder la vie d’auteur érotique avec une vie plus classique (de famille, de bureau…) ? Faut-il ou non cacher cette activité littéraire ?
« Littéraire » est le mot clef dans ces questions ! Beaucoup de gens oublient qu’il s’agit d’une expression artistique, et non du catalogue de nos soi-disants ébats. Pour moi en tout cas. Demande-t-on à une autrice de romans noirs combien de meurtres elle a commis dans sa vie ?
Ce malentendu est largement partagé, qui fait fantasmer le quidam sur les appétits sexuels de l’autrice d’érotisme ou de pornographie. Est-elle adepte d’une sexualité débridée ? Peut-être que oui, peut-être que non. Ce n’est pas le sujet. Cependant, à cause des nombreux préjugés et des raccourcis dévastateurs pris par certains, je préfère conserver ma tranquillité en ne faisant aucune « publicité » auprès de mes collègues. Il en va de ma liberté d’écrivaine.
Quant à mes enfants, ils savent ce que j’écris et en délèguent la lecture à leurs amis-es qui en sont ravis. Écrits érotiques ou non, mes enfants ne lisent pas mes textes car ils considèrent qu’il s’agit d’un domaine qui m’appartient et ils ont la délicatesse de m’y laisser m’y épanouir sans y mettre leur nez. Bien sûr, il y a de la pudeur à ne pas lire les écrits de sa mère quand on est enfant, quelque soit l’âge, d’ailleurs. Car tout écrit de fiction dit l’intime. Il me semble que c’est plutôt sain de ne pas lire les romans de ses propres parents.
Valeurs et convictions
Pourrait-il y avoir une forme de divinité ayant créé l’univers ? Une vie après la mort ?
Qui aurait créé l’univers, non. Mais une forme d’énergie suprême et collective à travers l’espace et le temps, oui. En tout cas pas une volonté suprême dont les pieds poilus dépassent d’un nuage. Je suis croyante, j’aime aller dans les lieux de culte de toute sorte, y compris celtiques par exemple, mais je n’apprécie pas de recevoir la bonne parole uniquement d’hommes en soutane. J’aimerais y voir aussi des femmes. Car je pense que la divinité, qu’on l’appelle Dieu ou autre, est Mère et Père.
Je crois au bien.
Quant à une vie après la mort, s’il s’agit d’une persistance de quelque chose qui ressemblerait à un fluide, à une énergie, à de la lumière, alors, oui, j’en suis intimement convaincue.
Différences hommes-femmes…biologie ancestrale ou construction sociale ? Ou peut-être un peu des deux ?
A l’instar de Simone de Beauvoir, je pense que « On ne naît pas femme, on le devient ». Et que l’on ne naît pas homme, on le devient aussi !
Qu’est-ce qui pourrait rendre notre rapport à l’autre plus sain ?
L’éducation, toujours l’éducation. Elle passe par l’école, par les modèles véhiculés au sein des familles, dans les médias et la société en général. L’éducation pour éradiquer la violence envers soi-même et envers les autres. Un éveil à l’éducation sentimentale et, tout simplement, émotionnelle changerait tout dans notre rapport à nous-même et donc, aux autres.
Quelle sexualité au quotidien ? Vie sage de couple, abstinence, libertinage ?
Je fais ce dont j’ai envie quand j’en ai envie. A presque 60 ans, je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas, c’est un des luxes que confère l’expérience.
Faut-il réaliser ses fantasmes ?
Je pense que réaliser un fantasme c’est prendre le risque qu’il se dégonfle comme un ballon de baudruche. L’image qui me vient est celle d’une entité vivante et sensible, comme un jardin que personne d’autre que nous ne voit. Cela me fait penser aux grenouilles de laboratoire : elles sont vivantes, belles comme la vie, on les dissèque et elles meurent. Une fois le fantasme devenu réalité, il n’est plus que… réalité ! Comme certaines personnes dont on rêve pendant des années, qu’on rencontre enfin et qui ouvrent la bouche pour dire un poncif éculé.
Une des solutions pour ne pas perdre bêtement la joie d’avoir des fantasmes, c’est de lire !
Un souvenir sexuel particulier à nous partager ? (Formidablement intense, ou au contraire incroyablement décevant)
Le plus formidablement intense reste celui de jouir de la personne que j’aime et de la faire jouir. Peu importe la manière, peu importe le lieu. Une église, une forêt, un théâtre, une voiture, des toilettes, tout devient cathédrale, à commencer par nos propres corps. Il n’y a rien de plus plein : toutes les strates de notre être incarné, tous nos fantasmes et toute notre confiance ne font plus qu’un. On atteint des sommets d’abandon.
Quand tous les aspects de notre personne s’alignent avec l’autre, l’extase est sans cesse renouvelée, elle ne peut se cantonner à un souvenir particulier.
Un ou deux coups de cœur littéraire, que ce soit en érotique ou tout autre style ?
En poésie, l’œuvre de Vénus Khoury-Ghata, en théâtre, Bernard-Marie Koltès, en roman Jean Giono et Marguerite Duras. Et le seul que j’emmènerais sur une île déserte, William Shakespeare, pièces et sonnets. En littérature pornographique, Esparbec.
Pour être plus précise et s’il faut vraiment choisir (dans l’ordre) : Les mots étaient des loups/ Dans la solitude des champs de coton/ L’homme qui plantait des arbres/ La pluie d’été/ Hamlet/ Roméo et Juliette/ La pharmacienne.
Dans un polar ou un livre d’horreur, on prend plaisir à imaginer des choses que l’on n’aimerait jamais vivre. Est- ce également le cas en littérature érotique ? Quel est ce mystère ?
Sans doute, puisque la littérature est le domaine de la liberté totale. C’est un espace de respiration, une soupape à la vie en société. La possibilité d’explorer autre chose que le chemin sur lequel nous nous sommes engagés et qui limite notre vécu. Une façon d’avoir plusieurs vies, y compris sexuellement.
Quelle est la limite dans la littérature érotique ? Faut-il des tabous et des interdits, si oui, lesquels ?
Comme dans la littérature gothique par exemple, tabou et interdit sont nécessaires pour avoir le plaisir de les enfreindre symboliquement. C’est ce que permet la procuration offerte par l’écrit.
Bien sûr chacun a ses limites. Les miennes ? Ne rien prôner qui puisse nuire à autrui. Respect et consentement sont mes prérequis.
En quoi cette littérature résonne-t-elle avec la société actuelle, à l’heure entre autres d’un certain retour à l’obscurantisme religieux ?
On rejoint ici la dimension politique du corps et plus particulièrement celui des femmes. Il est malheureusement évident que l’oppression de ce dernier demeure le marqueur des sociétés qui basculent dans l’obscurantisme. C’est pourquoi cette littérature doit être nourrie et défendue. La littérature érotique et pornographique est une Z.A.D.
Quelle technique personnelle pour mieux vendre, se faire connaître ?
Je tiens un blog : https://annevassiviere.blog
Je suis présente sur quelques réseaux sociaux car j’aime échanger et rencontrer de nouvelles personnes, je participe à des lectures, j’organise des signatures quand un ouvrage sort… et j’espère que la qualité de mes écrits fera le reste. Si j’avais une technique, je serai sans doute commerciale et non romancière !
Quant à la communication avec journalistes et libraires, ce sont les attachées de presse de mes maisons d’édition qui s’en chargent.
Familles recomposées, sites de rencontres, dénonciation du harcèlement, banalisation de la pornographie…en quelques décennies, notre image du sexe et de l’amour a été chamboulée. Pour le meilleur ou pour le pire ?
J’ai le sentiment que, dans la jeunesse notamment, les réactions sont extrêmement tranchées : certains refusent toute relation sexuelle, d’autres y posent en préambule des conditions claires d‘écoute et de respect mutuels, d’autres encore adoptent la vision réductrice d’une femme toujours sexuellement disponible et d’un homme au garde à vous pour uniquement un plaisir de pénétration et d’éjaculation. Cela donne une panoplie d’expressions sexuelles particulièrement clivée.
À partir de là, chacun.e met le curseur là où correspond sa sensibilité, mais un des aspects intéressants de cette période compliquée est, selon moi, le fait que certain-es revendiquent le droit de n’avoir aucune envie ou pratique sexuelle. Je trouve que le reconnaître est un progrès notable dans le respect de la diversité humaine. Nous sommes nombreux/euses à refuser l’obligation de performance sexuelle, pourquoi les asexuel.les ne pourraient pas s’opposer au diktat d’obligation de sexualité ?
Dans tout cela, je dirais tout de même que ce qui prime (et qui relève d’une responsabilité collective de la société), c’est de protéger les enfants des images pornographiques réductrices qui érigent en norme absolue la disponibilité soumise des femmes et la sur-performance d’hommes réduits à leur pénis. Il faudrait instituer des cours d’éducation sexuelle et affective à l’école. Laisser la jeunesse en pâture aux sites qui réduisent la sexualité à une pornographie aussi pauvre et caricaturale est criminel à mes yeux.
Pour mieux faire connaissance avec Anne, retrouvez-la dès à présent sur son blog. Aussi et surtout à ne pas manquer : la troisième et dernière partie de cet entretien, à partir du 21/06/2025.