Celle qui ne voulait pas se laisser apprivoiser

Le nouveau conjoint est imposé ! Chloé fait la tête… Elle ne veut pas de cet homme dans la vie de maman. Pourtant bien vite… – Extrait de ma saga littéraire En attendant d’être grande.

 

Le jour de l’emménagement, maman avait insisté pour me faire un nœud dans les cheveux, me peigner, repasser ma robe. Elle voulait me transformer en poupée, que j’aie l’apparence d’une petite fille bien sage. Ridicule… Carl était déjà venu, son fils aussi, tous deux étaient déjà au courant pour mes vieux t-shirts trop larges et mes jeans raccommodés, sans cesse portés à la maison. Ce nouveau schéma familial m’inquiétait, et le pauvre Carl, voyant cela, se sentait coupable.

Il tenta de me faire sympathiser avec sa progéniture, sans grand succès, nous n’avions vraiment rien de spécial à partager. La voix de Léopold muait, oscillant entre le grave et l’aigu, je sentais qu’il me voyait comme une gamine. En désespoir de cause, il me fit jouer à quelques jeux vidéo tout aussi lassants que lui.

Maman tenta une ou deux sorties à quatre et se ravisa vite fait. Elle me disait de faire davantage d’efforts. Qu’on ne me demande pas l’impossible, les efforts avaient déjà été fournis : nous n’étions pas une famille, point.

Les jours passèrent et tout n’était pas si gris. Je fis mieux connaissance avec Carl et le trouvais de plus en plus charmant. Sachant que la situation n’était pas évidente pour une enfant, ce nouveau conjoint fit tout pour être aux petits oignons.

Au début réticente, en quelques semaines j’étais domptée.

Les filles les moins réceptives au départ sont parfois celles qui s’accrochent le plus ensuite. Les hommes intelligents le savent, et savent en jouer. Je me demandais comment la séduction pouvait être sujette à tant de débats, de livres et clubs de formations (si, ça existait déjà en ce temps). « Un homme doit être simple, voilà qui est compliqué », disait parfois Estelle qui décidément en connaissait un rayon.

D’ici quelques années, j’apprendrai que ce domaine est encore plus épineux que la recherche scientifique, et plus encore pour les hommes que pour les femmes.

J’imaginais alors qu’il n’y avait qu’une seule forme de charisme au monde, celle de Carl, et qu’une seule forme de beauferie, celle de papa. Tout semblait si évident.

Les mille et une façons de faire de l’humour ou de l’amour,

de communiquer ou se disputer, d’être en complicité ou en conflit, tout cela me tendrait les bras (ou les griffes) bien assez tôt.

Je me mis, l’air de rien, à être en demande d’autorité. Une recherche inconsciente d’image paternelle je suppose. Carl ne sut trop sur quel pied danser et finalement répondit à mon appel, au moins le minimum syndical. Il ne cherchait pas à prendre la place du père, juste à m’offrir ce que je quémandais. Je détestais me faire punir par maman, j’adorais me faire gentiment engueuler par Carl, commettant volontairement caprices et bêtises en sa présence. Je ne voulais pas d’un conjoint passif et soumis (même si ce n’était pas le mien), je voulais qu’il sache me remettre à ma place.

Allez quoi, domine-moi, montre-moi qui est le chef !

Testé sans arrêt, Carl se montrait sans faille.

Je m’en aperçois aujourd’hui, son assurance n’était que façade. Carl était en fait très déstabilisé par le rôle que je lui faisais jouer.

(…)

Imperturbable, incorruptible, il ne tenta même pas d’acheter mon affection (bon, pas fou, il me fit tout de même quelques cadeaux) : je la lui offris gratuitement. Il semblait avoir du mal à s’intéresser vraiment à son fils, ce dernier ne s’en portait pas plus mal, Léopold étant accaparé par les rires gras avec les copains, les VHS et les jeux vidéo. Par politesse, le soir à table, je faisais semblant de trouver intérêt aux histoires insipides de ce pseudo-ado, comme ça aucune remontrance de maman.

Nous formions un bien étrange quatuor…

Maman et moi unies par des liens de sang. Carl et Léopold idem. Carl et moi unis par des liens affectifs. Maman et Carl unis par des liens de baise. Et enfin Léopold et moi unis par rien du tout. Pas même désunis, pour cela il aurait fallu être unis avant. En classe, ça jasait…

Nous étions à une époque où

les séparations et familles recomposées étaient marginales.

En titillant Carl, je prenais toute la mesure de ce j’attendrai plus tard d’un homme. Un point de repère qui ne me quitterait plus, développant mes exigences. Une raison pour laquelle je ne pourrai devenir une pouf de base comme on en croise dans toutes les boites (de nuit comme de taf).

Exigence bien ordonnée commence par soi-même, je tenais à être à la hauteur. Ainsi va l’histoire, un seul humain a la classe et c’est toute l’humanité qui est tirée vers le haut. Ça fonctionne pour le meilleur, pour le pire aussi.

Un bel homme comme lui, ayant autant d’esprit que de physique, ne devait pas avoir affaire à une greluche superficielle. Il me fallait soigner mon apparence, travailler mon mental, mes savoirs, mon humour. Avec plus ou moins de réussite, ce qui importait peu, Carl n’ayant aucune attente particulière. Un bon sujet d’entraînement en somme.

L’essentiel est le tournant qu’il me fit prendre dans l’existence. Toute fille passe par ce moment-clé : rester courtisée ou devenir courtisane. Celle qui choisit de rester simple courtisée tombe dans le culte de l’apparence.

Elle couche, fait des œillades, use de ses charmes

pour viser le sommet. L’ennui étant une concurrence rude, des résultats aléatoires et des places chères, les bombes étant légion, tout du moins sur la capitale. Passer courtisane est le choix le plus intelligent. Bon gré mal gré, c’est elle qui sera au final la plus courtisée. Comprenne qui devra.

En présence du petit copain, maman n’était pas la même. Une tout autre femme, vraiment. Bien plus aimante et aimable, bien moins négligente et négligée. Un homme ça vous change une femme. Par quel miracle ? L’amour ? Quelques bons coups de bite bien placés ? Les deux à la fois ?

J’en profitais pour observer les tourtereaux tout en m’évaluant moi-même, voir en quoi je brillais, en quoi je péchais.

Si je ne voulais pas devenir une sotte superficielle,

je ne devais pas me limiter à ce qu’un homme m’apporterait…

Mon but, saisir autant que possible les mécaniques hommes-femmes. En situation réelle je n’aurai plus droit à l’erreur, du moins à tant d’erreurs. Je me fis aussi la promesse de toujours conserver un haut niveau de prétentions envers la gent masculine, afin de ne pas accepter n’importe quelles lèvres contre les miennes.

Promesse qui ne sera pas toujours respectée… A l’occasion, baisser à fond le niveau de ses exigences peut être une belle expérience. Je ne pouvais encore concevoir à quel point, selon la situation, se faire sauter par un naze pouvait être sensationnel. Même toi qui me lis tu ne le comprends peut-être pas tout à fait.

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