Déodat de Montclos signe un ouvrage particulier, dont on sent que certaines parties m’ont laissé un brin confus, d’où, à la lecture des réponses, une relative incompréhension de ma part quant à certaines pages de son livre. Mais… ces entretiens sont précisément faits pour cela : éclaircir les choses, faire connaissance. Car Déodat défend très bien sa plume et tient un discours très intéressant à découvrir…
Le titre de votre ouvrage est ambigu : « Histoire véridique ». Est-elle véridique ?
Le titre vous paraît ambigu ? (sourire) J’en vois mal la raison. Pour moi, le romancier a tous les droits, mais il en est un, parmi eux, qui est aussi la première de ses obligations : faire avaler des couleuvres à son lecteur. Tous les moyens sont bons pour y parvenir. Que vaudrait un roman qui n’ait pas l’air « vrai » ? Le lecteur n’y croirait pas. Pensez au Mentir-vrai d’Aragon, à Vérité et Poésie de Goethe, etc. À quoi tient notre passion pour Anna Karénine ? Voilà une femme plus vivante, plus « vraie » pour son lecteur qu’aucune de celles qu’il rencontrera jamais.
Le commencement du roman laisse croire à une histoire se déroulant dans l’ancien temps, peut-être à la période des rois ou de la renaissance. Puis, on s’aperçoit qu’elle est contemporaine. Est-ce voulu ?
L’ancien temps ? (nouveau sourire) Vous remarquerez que ma narratrice évoque ce fameux groupe punk anglais, les Sex Pistols, dès la seconde page de sa confession. Que je sache, il s’agit d’un marqueur propre au XXème siècle, non ? Ce groupe nous ramène aux années 70, ce qui n’est tout de même pas l’antiquité. Pardonnez-moi de ne pas voir vraiment pourquoi on peut penser à « la période des rois ou à la Renaissance ». Ce qui pourrait dérouter, le cas échéant, c’est l’écriture de mon héroïne, la lucidité sans complaisance, finalement assez cruelle, dont témoigne le regard qu’elle porte sur son milieu (aristocratique) et la perception qu’elle y a d’elle-même dès son incipit. Mais ce n’est pas surprenant, à mon sens, si l’on songe à ce qu’elle révélera dans la suite, savoir qu’elle étudie la littérature comparée à la Sorbonne. L’intelligence et la culture ne sont quand même pas devenues des valeurs surannées, si ?
Cette héroïne passant de fille de bonne famille à fille des rues, est-ce pour expliquer une sorte de mise en abyme et de perdition, ou bien plutôt une forme d’évolution personnelle ?
Ce roman ne veut rien expliquer. Mademoiselle C. de C. est seulement une fille intelligente et jolie, et, dès le départ, si elle ne se fait aucune illusion sur son milieu, elle ne s’en fait pas davantage sur elle-même, ce qui lui ouvre le champ de tous les possibles. De fait, elle s’ennuie et l’ennui, qui n’est pas un destin bien enviable, rend disponible quiconque s’y consume. Que nous raconte cette confession, en définitive, sinon une éducation sentimentale, au sens flaubertien ? C’est l’histoire d’une découverte : la découverte de soi, c’est-à-dire aussi bien l’esprit que le corps.
Peut-on y voir une critique du rôle parental ? Les parents de l’héroïne ont-ils au fond un rôle plutôt responsables… ou irresponsables ?
Pas du tout. Il n’y a dans ces pages aucune critique consciente de qui que ce soit, non plus le moindre postulat en faveur de telle ou telle éthique, sinon celle, sans doute, de l’ouverture à soi, à la liberté. La découverte de soi ne peut s’opérer, pour Mademoiselle C. de C., sans recherche d’une liberté qu’elle n’a jamais connue, sans sa volonté de rompre avec son milieu. L’histoire du destin particulier de Mademoiselle C. de C. ne regarde que Mademoiselle C. de C. et l’inconnu que le hasard va placer sur sa route comme un deus ex machina. Ce roman, dans mon esprit, n’a rien d’édifiant, rien de moral. Il ne délivre aucune leçon, sinon celle, peut-être, qui renvoie à Malraux : « La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ». Faulkner disait déjà en son temps que le roman n’avait rien à faire avec la morale. J’ajouterai : encore moins le roman érotique.
La première relation, très brutale et spontanée vécue par l’héroïne est-elle un « coup de foudre sexuel », ou bien cela aurait-il pu se produire avec un peu n’importe quel homme ?
« Un coup de foudre sexuel » ? Oui, si vous voulez. Mais il ne s’y introduit aucune brutalité, si même, dans le début, elle le perçoit ainsi. Du reste, elle ne tardera pas à se moquer d’elle-même après en avoir rendu compte à son amie et amante. La question de savoir s’il en aurait été ainsi avec n’importe quel partenaire n’est pas posée. Mademoiselle C. de C. ne se la pose pas. Très vite elle comprend qu’elle a rencontré son destin en celui que la providence lui a envoyé, si je puis dire, le jour de ses 18 ans.
Y’a-t-il une influence de Sade dans cet ouvrage ? Que pensez-vous de cet auteur ? (Certains, comme Michel Onfray, en ont souligné l’aspect apparemment fort criminel…).
Vous évoquez trois points. D’abord, une influence de Sade. Non, je ne crois pas. Vous savez, le jeu des influences… Pour ma part, je préfère ne pas y penser. Mais j’aime cet écrivain beaucoup plus important que ne se l’imaginent des censeurs toujours sur la brèche. C’était un vrai révolutionnaire. Songez que si ses écrits lui ont valu, après la Bastille, l’enfermement à l’asile de Charenton à la fin de sa vie, ils lui ont permis de sauver sa tête à la Révolution et d’œuvrer aux côtés des sans-culottes, et donc au profit de la Révolution.Et puis, Les infortunes de la vertu, c’est pas mal, non ? Sans parler du reste ! La philosophie dans le boudoir, Les 120 journées de Sodome, etc. Il n’empêche, mes modèles seraient plutôt à rechercher du côté de Sacher-Masoch (La Vénus à la fourrure), de Pierre Louÿs (Trois filles de leur mère), de Boyer d’Argens (Thérèse philosophe) ou encore de Pauline Réage (Histoire d’O) que j’ai eu la chance de rencontrer à la NRF dont elle a été la secrétaire de rédaction, sous son nom d’état civil, Dominique Aury, au côté de Jean Paulhan qui en était à l’époque l’administrateur. Les romans érotiques de Mandiargues me touchent aussi dans une certaine mesure, celle de leur style d’une profonde poésie qui renvoie à la meilleure littérature française, je pense à Georges Bataille. Quant à l’analyse d’Onfray portant sur l’œuvre de Sade, c’est là un procès en sorcellerie qui ne m’intéresse pas. A-t-on jamais imputé aux Démons, ce chef-d’œuvre de Dostoïevski, les massacres commis plus tard par les Bolcheviques ? À propos, j’aime assez l’idée que les écrivains et les artistes se révèlent parfois d’étonnants visionnaires. Freud (que n’aime pas non plus Onfray, si je ne me trompe) l’avait déjà observé, en particulier, justement, avec Dostoïevski, qui est peut-être le vrai inventeur de la psychanalyse un siècle avant le Viennois (je pense au Journal de Raskolnikov et à cette œuvre moins connue, Les Carnets du Sous-sol, également traduite sous le titre Mémoires écrits dans un sous-terrain dans lesquels l’auteur se livre, comme à son insu, à de vertigineuses explorations du psychisme de ses personnages). Nul ne saurait prétendre que Dostoïevski se fait dans ses romans l’avocat des causes défendues par Stavroguine, par exemple. Qui songerait, d’autre part, à y voir une quelconque apologie ? L’artiste ne saurait être tenu pour responsable des travers humains qu’il décrit.
Vous semblez particulièrement attiré par les rapports de domination-soumission. Pour quelle raison ?
Je ne suis attiré que par des sujets propres à intéresser le lecteur. N’oubliez pas qu’avec le roman érotique, nous sommes dans un genre bien balisé, avec des codes qu’il me paraît difficile d’enfreindre si on veut éveiller et entretenir l’intérêt.
La grande majorité des récits sexuels orientés « domination » restituent le schéma « l’homme dominant la femme ». L’inverse est-il plus délicat ? Si oui, pourquoi ?
L’inverse du rapport de domination homme-femme serait-il plus délicat, pour reprendre votre adjectif ? Vous parlez du rapport de domination femme-homme, je suppose. Je ne comprends pas bien votre question. Ce mot : délicat… Je pense que l’inverse peut être tout aussi excitant pour les adeptes de ces pratiques. Les hommes et les femmes ne sont souvent distingués que par des valeurs morales, des coutumes, des considérations économiques, tous ces clichés historiques dont on a fait pièce, Dieu merci. Dans les faits, mon avis est qu’ils sont juste assez semblables en même temps que juste assez différents pour être à même d’affronter ensemble les exigences de leurs désirs respectifs et que les rapports de domination et de soumission, par exemple, sont parfaitement réversibles. La domination n’est pas le fait exclusif des hommes, comme la soumission celui des femmes. Voyez les sites de rencontres amoureuses qui fleurissent sur le Net, le succès des « dominas » auprès des hommes en recherche de sensations qu’ils ne trouvent pas forcément dans leur couple, je dirais, légal (sourire)… Tout cela constitue pourtant encore un sujet tabou, dans notre société, comme l’amour et le mariage entre personnes de même sexe, quoique, au moins au plan juridique, les choses aient grandement évolué à cet égard ces dernières années, au grand dam de la bourgeoisie catholique. Souvenez-vous de ces manifestations gigantesques qu’elles ont provoquées partout en France.
L’histoire aura-t-elle une suite ? Si oui, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Non. Il n’y aura pas de suite, bien qu’il soit toujours poignant (pour moi, en tout cas) de laisser derrière soi un personnage avec lequel on a vécu en étroite intimité pendant plusieurs mois. J’ai toujours grand-peine à terminer un roman, à abandonner tous ces gens côtoyés chaque jour et que je finissais par connaître mieux que mes plus proches voisins. Mais j’ai laissé Mademoiselle C. de C. là où s’accomplit désormais son destin. Je ne peux plus rien pour elle. Pour ainsi dire, la suite ne me regarde plus.
Quels sont vos projets en cours et à venir ?
Permettez-moi de n’en rien dire (soupir). Mais… j’ai des choses en train. Comment vivre autrement ? Impensable.
Découvrez la fiche auteur de Déodat sur le site de l’éditeur Dominique Leroy : http://www.dominiqueleroy.fr/auteur/290/Deodat%20de%20Montclos