Entretien avec Cyr, 4ème partie

Quatrième et dernier partie de l’entretien avec  le poète Cyr

 

« Malgré la libération des moeurs, la sexualité reste un domaine où la frustration et l’angoisse s’expriment régulièrement »

 

. En quoi ces lectures peuvent-elles nous faire réfléchir ? Nous ouvrir au monde, aux autres ?

 » Lire des livres érotiques, les faire connaître, les écrire, c’est préparer le monde de demain et frayer la voie à la vraie révolution. » Boris Vian [« Utilité d’une littérature érotique » : Conférence du 14 juin 1948 au Club Saint-James, Paris]

Malgré la libération des moeurs, la sexualité reste un domaine où la frustration et l’angoisse s’expriment régulièrement. Ma poésie érotique a pour démarche d’en donner une autre vision, centrée sur l’échange et le jeu (de rôle, des corps, des mots…), et de montrer tout le positif qu’il peut y avoir à exprimer dans ce domaine, y compris dans ses dimensions perverses (c’est-à-dire qui ne sont pas dans la « norme »).
La sexualité, l’érotisme, j’en fais un remède, un médicament, un rempart contre l’aliénation de la vie quotidienne (travail, responsabilités, tâches ménagères…), un pont jeté vers l’autre qui s’affranchi de ses obstacles.
Citons René Crevel dans « Mon corps et moi » (1925) : « La volonté d’agir exercée contre un simple sexe, le côté pile ou face d’un individu, tout entier vêtu ou dévêtu, visible ou figuré, une masse, un peuple, ne m’a jamais paru naître que du besoin d’évasion. »
Citons aussi une de mes lectrices : « J’aimerai vivre ce que vous écrivez ! »

 

« Se contraindre à ne pas penser à des choses interdites ou refuser que d’autres l’imaginent, notamment en matière de sexualité, c’est risquer de générer d’autant plus de frustration et donc de violence »

 

. Qu’aimes-tu lire en général et pourquoi ?

J’ai déjà cité Anaïs Nïn, je citerai volontiers d’autres femmes : Françoise Rey et son roman « La femme de papier », Catherine Millet « La vie sexuelle de Catherine M ».
En poésie, j’aime beaucoup les auteurs satyriques du moyen âge qui sont truculents, tant sur la langue que le contenu, et ceux de la période surréaliste (Paul Eluard en particulier). Sinon, un ouvrage particulier, à mi-chemin du roman et de la poésie : « La mécanique des femmes » de Louis Calaferte.
Dans d’autres domaines, je citerai Karl Marx « Les luttes de classe en France (1848-1850) » et un article de Lacan « De la plus-value au plus-de-jouir » (1968). Hors le contenu, d’un point de vue littéraire Marx a le talent du reporteur et polémiste, tandis que Lacan a celui des formules poétiques et provocatrices.

 

. Quelle est la limite dans la littérature érotique ? Faut-il des tabous et des interdits, si oui lesquels ?

L’imagination est un plaisir qu’il faut s’autoriser, sans censure. Pour ce qui est des actes, c’est autre chose, des limites peuvent s’imposer. D’ailleurs c’est bien parce qu’il y a des limites au passage à l’acte que notre désir de s’affranchir des limites cherche à s’exprimer dans l’imaginaire. Il faut bien que nos perversions ou nos angoisses puissent s’exprimer d’une manière ou d’une autre ! Se contraindre à ne pas penser à des choses interdites ou refuser que d’autres l’imaginent, notamment en matière de sexualité, c’est risquer de générer d’autant plus de frustration et donc de violence… qui s’échapperont soit par un autre bord : intolérance aux différences, à l’étranger… soit finalement par un passage à l’acte: viol…

 

. Quelles sont tes lectures favorites ?

J’aime beaucoup les formats courts : nouvelles, poèmes – axées sur la détente, l’évasion : de l’érotisme beaucoup et aussi de la SF, de l’humour.
Pour les gros formats, j’ai une appétence pour le politique (au sens large, à la fois philosophique et concret : comment vivre ensemble dans la cité) – et donc tout ce qui touche à la compréhension de l’homme, du fait social et de notre relation au monde (sociologie, psychanalyse, sciences…).

Je navigue ainsi entre Imaginaire et Réel… dans le Symbolique (écrire c’est produire des signes). Pour les connaisseurs, c’est une illustration de la triade RSI (Réel – Symbolique – Imaginaire) développée par Lacan, et qui permet de comprendre les différentes facettes de notre rapport à l’autre, aux autres, à l’Autre avec un grand A, comme Amour et haine.

 

« Je me suis mis à écrire ce que je ne trouvais pas à lire ou très peu dans la littérature contemporaine. Car effectivement la poésie érotique se fait rare aujourd’hui »

 

D’où vient cette influence de la langue anglaise, sur ces textes pourtant français ?

J’utilise aussi de l’espagnol et de l’arabe. Les mots d’origine arabe sont d’ailleurs nombreux dans la langue française.
Depuis 1492 nous n’avons cessé de développer les échanges avec les autres continents et l’anglais s’est imposé comme langue internationale. J’écoute beaucoup de musique et j’aime comprendre les paroles même en anglais, je parle aussi anglais quand je voyage à l’étranger. C’est une langue que j’ai toujours utilisée. On la retrouve d’ailleurs de plus en plus dans notre propre langue aujourd’hui.

Gainsbourg a été parmi les premiers à introduire autant d’anglais dans ses chansons françaises, il y a aussi cette influence. Verlaine avant lui s’est servi de la langue anglaise dans ses textes. Le mélange des langues apporte des sonorités nouvelles que j’apprécie. Le mélange des différentes cultures est par ailleurs une richesse, en ce sens je suis un internationaliste : ni nationalisme de repli sur soi, ni mondialisme qui acculture.

 

. Pour lire beaucoup de poésie érotique il faut surtout se plonger dans des temps anciens… Pourquoi selon toi la poésie érotique est-elle si rare de nos jours ?

Je suis un lecteur exigeant, j’aime être surpris. Je me suis mis à écrire ce que je ne trouvais pas à lire ou très peu dans la littérature contemporaine. Car effectivement la poésie érotique se fait rare aujourd’hui, il n’y a comme on dit qu’une « niche » d’auteurs/lecteurs (je suis assez casanier finalement, même si je préfère les chats aux chiens).

Cet état de fait est lié à la standardisation médiatique et aux diffuseurs frileux qui n’ont pas habitué les gens à lire une diversité de genres. Pour l’instant, « l’araignée Capital digère son bien-être » (Bernard Lavilliers – album « Les poètes »), mais elle sera peut-être intéressée à venir pomper du fric dans cette niche lorsqu’elle manquera de débouchés ?

En tout cas, je tente de renouveler le genre dans mon coin. S’il est vrai qu’une habitude de lecture est nécessaire pour apprécier toute la saveur des anciens, je reste toutefois trans-genre, si je puis dire, car mon écriture s’enracine aussi dans les classiques (le sonnet ça sonne !). Il y a toujours beaucoup à apprendre de ceux qui nous ont précédés, que ce soit pour raconter des histoires ou tirer les leçons de l’Histoire.

 

Retrouvez Cyr sur son site : http://www.poesie-erotique.net/

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