Entretiens avec des auteurs dont la plume est teintée d’érotisme et de sensualité. Cette semaine, faisons connaissance avec Jean Darmen.
THÉO KOSMA – Qu’avez-vous pensé de mai 68, et des mouvements politiques des années 70 ? Pour certains, le combat était utopique et a mené le pays à la ruine. Pour d’autres, les progrès sociaux qui en ont découlé sont indéniables…
JEAN DARMEN – À peu près rien, encéphalogramme plat pour ma part.
À part que ça n’a débouché que sur moins que rien. Les évolutions, économiques, politiques, sociales auraient eu lieu malgré tout. Probablement.
Mai 68 a été contre-productif, mais, heureusement pour nous, s’est arrêté assez vite (en mai) et n’a pas été la catastrophe de 1789/93.
Un de mes fantasmes serait d’en avoir une belle (révolution) en 2017/2020. Mais il ne faut pas rêver !
THÉO KOSMA – Certains écrits érotiques classiques ne seraient jamais édités aujourd’hui, tels que « Trois filles de leur mère », de Pierre Louys, (publié notamment par La Bourdonnaye), décrivant des séquences sexuelles très clairement pédophiles. Selon vous, la liberté d’expression et surtout d’édition doit-elle être totale, ou a-t-elle des limites ?
JEAN DARMEN – Je n’ai pas lu l’intégrale de Pierre Louys, mais je la lirai.
Je pratique l’autocensure. J’ai été censuré par un éditeur qui m’a clairement refusé une nouvelle sous le prétexte qu’on pouvait supposer que les protagonistes étaient mineures. Ça ne m’avait personnellement pas choqué, mais aujourd’hui, mes héroïnes ont vieillies et ont toutes 18 ans révolus quand cette nouvelle paraîtra.
La liberté d’expression n’a de limite que par ce qu’impose la société dans laquelle nous vivons. J’ai vécu un an en pays musulman (socialiste soviétique à vrai dire) où la censure était bien présente sur des sujets qui reviennent d’actualité aujourd’hui bizarrement.
Pourquoi ne pas s’adapter ? Dans un autre lieu à un autre moment, vous pourrez vous exprimer. Ça n’a aucune importance si certains sujets deviennent tabous, il y a tellement de manières de dire les choses.
THÉO KOSMA – Que pensez-vous de cette littérature sensuelle « ancienne » comparée à la littérature érotique contemporaine ?
JEAN DARMEN – Je n’ai pas assez lu pour en parler savamment. Mais ce que j’en ai lu me ravit. J’ai commencé à aborder ce genre de texte depuis que j’en écris moi-même.
THÉO KOSMA – L’angle de la S.F. est souvent utilisé pour faire passer des messages politiques et/ou philosophiques. Est-ce votre cas ?
JEAN DARMEN – C’est une facilité que j’ai utilisée dans « P900 », je dis bien une facilité. Les suites de « P900 » amplifient bien cette tendance.
Dans « Clara et ses amours de robots », qui n’est que de l’anticipation, ce n’est plus une facilité, c’est une tentative de réponse à une des questions suivantes « vers quoi nous dirigeons-nous ?
THÉO KOSMA – Votre parcours semble dénoter à la fois un rejet et une affection du système. Une sorte d’amour-haine… Qu’en est-il ?
JEAN DARMEN – Ni l’un ni l’autre. Je suis bien obligé de vivre en 2016, et je l’espère jusqu’en 2040 pour donner une date repère. Je ne rejette pas “le système” ni l’affectionne particulièrement ; d’ailleurs de quel système parlez-vous ? De l’économie et du politique d’aujourd’hui qui n’est pas très différent depuis, disons 1914, pour rester dans des références historiques courtes. Donc dans une période d’apparente démocratie dévoyée par l’oligarchie en dictature douce, et dans une ambiance de fin d’empire romain (il a mis combien de temps avant de s’écrouler ?) avec invasions barbares, périodes chaotiques de guerres et de dictatures et quelques rémissions.
THÉO KOSMA – D’une façon générale, que pensez-vous de l’époque actuelle ? Vers quoi nous dirigeons-nous ? Comment voyez-vous le monde dans dix, vingt ou cinquante ans ?
JEAN DARMEN – L’époque actuelle n’est ni meilleure ni pire qu’une autre. J’ai assez d’archives familiales pour apprécier ce que mes ancêtres pensaient de leur propre époque. Pour l’avenir, j’ai complètement et volontairement cassé ma boule de cristal, comme j’ai mangé mes grenouilles pour la météo. J’explore des possibles sans les souhaiter particulièrement. J’ai exploré deux univers, celui de “P900”, une dictature douce ou sévère selon que l’on est puissant ou misérable, celui de “Clara” où les robots et humanoïdes toujours soumis aux rares humains des classes supérieures, s’activent pour leur compte sans que l’on sache qui va dominer réellement.
THÉO KOSMA – Un écrit érotique doit-il être subversif ? Si oui, qu’est-ce que pour vous un écrit subversif ?
JEAN DARMEN – Si l’on s’accorde à la définition de détruire ou bouleverser les institutions, un écrit érotique n’est plus très subversif, au contraire il contribue à réaliser la remarque d’Aldous Huxley “Lorsque les libertés politiques et économiques diminuent, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en proportion. Et le dictateur se trouvera bien d’encourager cette liberté.”
Un écrit littéraire pourrait être subversif s’il encourageait à appeler les choses par leurs noms, sortir des concepts foireux et de la novlangue du marketing politique, rétablir des définitions claires et simples, préconiser le bon sens et retrouver toutes les libertés. Vaste programme.
THÉO KOSMA – Vos écrits s’opposent-ils à certains dogmes “moraux” (religion, traditions…) ou “cohabitent”-t-ils sans l’ombre d’une mésentente ?
JEAN DARMEN – Je n’ai pas cette impression de m’opposer à des dogmes moraux. Enfin la morale est relative (Vérité en deçà des Pyrénées, etc.). L’érotisme n’est que le moyen utilisé par mes personnages pour atteindre le plaisir et plus si affinité. Si la recherche du plaisir et de la joie est immorale, ce sont des écrits immoraux.
THÉO KOSMA – Écrivez-vous actuellement ? Si oui, quels écrits sont en route ?
JEAN DARMEN – Oui beaucoup.
Une saga de l’an 1000 (1030 probablement) dont le titre provisoire est “Amours des quatre royaumes” où quelques princesses passent d’agréables moments dans leurs royaumes pourris situés à l’est de l’Europe entre les menaces Vikings, celles de Rome et de Constantinople sous le regard tutélaire des dieux anciens et modernes.
Une série de nouvelles érotiques dont les intrigues se déroulent de nos jours sur le thème de la “rencontre aimable” et une série de nouvelles sur des petits sujets de société, généralement loufoques et sans aucune importance ni sociale, ni économique, ni politique, mais toujours érotique en diable.
Ces trois chantiers là sont presque terminés.
J’ai une romance historique (1900/2050) en cours également.
C’est tout.
Et puis, peut-être que j’écrirai encore quelques nouvelles.
Pour en savoir plus sur l’auteur, visitez sa page sur Babelio.