L’univers BDSM rebute, fascine, attire, fait fuir… ou laisse indifférent, mais plus rarement. En matière de littérature, le domaine est encore plus délicat à aborder. Rencontre avec une spécialiste du genre, en tout cas une fine connaisseuse…
L’héroïne de « Devenir sienne » a quelques attitudes nymphomaniques. Est-elle réellement nymphomane, ou son manque est-il simplement créé de toute pièce par son dominateur, qui s’arrange souvent pour la frustrer avant de la contenter ?
Lorsque j’ai écrit Devenir Sienne, ce n’était pas un livre à proprement parler. C’était juste une histoire que j’écrivais sur un blog, chaque post devait contenir une scène un peu chaude et c’est pour cela qu’il y a autant de sexe dans ce roman. D’un autre côté, il est vrai que ce personnage aime particulièrement le sexe, mais son appétence m’a semblé naturelle, peut-être ai-je projeté un peu de moi-même. Sourire.
Nous sommes dans une période de féminisme, parfois censée, parfois non. Nous sommes en tout cas dans une période de dénonciation de la dominance homme-femme. Est-il de ce fait plus compliqué de vivre de nos jours en tant que soumise ?
C’est compliqué justement parce que beaucoup d’amalgames sont faits et que les gens ne voient que ce qu’ils veulent voir. Je suis profondément contre la domination masculine « de principe », je suis contre la violence faite aux femmes et contre toute forme de soumission si celle-ci n’est pas pleinement consentie et désirée. Le BDSM est un choix de vie assumé. Ce n’est pas un asservissement conjugal. La femme décide de se soumettre, on ne lui impose pas. Elle ne se soumet pas au premier venu et se donne en pleine conscience à celui qu’elle estimera digne d’elle. Si cet engagement ne lui convient pas, elle reprendra sa liberté dès qu’elle le souhaitera. J’ignore s’il y a des périodes plus favorables ou non pour ce genre de choses. Ce type de relation a, il me semble, toujours trouvé une place dans la littérature, je pense au Marquis de Sade, à Pauline Réage, et bien d’autres encore. À l’heure d’Internet, tout va plus vite, tout est exposé, tout est facile d’accès. Certains tabous tombent, mais beaucoup de gens sont encore réfractaires, de façon générale, à tout ce qui n’est pas « leur vision des choses ». Si je voulais « choquer » un peu, je dirais que la soumission consentie, est un acte féministe extrême. Seule une femme libre, à l’écoute de son corps et de ses envies peut décider de prendre de la distance avec les consensus sociaux et la vision « normale » de la femme. Les soumises, comme moi-même sont des femmes libres et modernes.
Au fond, le terme de « soumise » n’est-il pas une simple image ? Presque un mot au second degré ? Car si on est soumis à son dieu, on peut quitter son « maître » comme bon nous semble… n’est-il pas ?
Certains se convertissent et changent de religion. Être soumise est un état d’esprit, un choix de vie. Certaines soumises auront plusieurs Maîtres dans leur vie et cela ne change rien au fait qu’elles soient soumises. Une relation entre un maître et une soumise n’est pas d’office « à la vie à la mort » ! Que la décision vienne de l’un ou de l’autre, chacun est libre d’entamer une autre histoire, ou d’y renoncer par convictions personnelles.
On dit souvent que les déviances (ou tout du moins les tendances originales) apparaissant à l’âge adulte viennent toujours de blessures de jeunesse, si pas d’enfance. Mythe ou réalité ?
Je ne peux pas parler au nom de tout le monde, car je ne connais pas les histoires personnelles de chacun, même si de nombreuses lectrices me racontent souvent leur passé. De mon côté, je n’ai vécu aucun traumatisme dans mon enfance, et je connais d’autres soumises dans le même cas que moi. J’en connais aussi qui en ont subis. N’auraient-elles pas été soumises aujourd’hui sans cela ? Je l’ignore, je ne suis pas psy. Mais je n’aime pas cette idée de devoir forcément chercher une cause ou une blessure, comme si être soumise était le résultat de quelque chose de négatif, voire une déviance médicale. Je trouve cette idée très péjorative. Ne pas avoir les mêmes choix de vie que tout le monde, y compris dans ses préférences sexuelles ne devrait pas être stigmatisé de la sorte. C’est ce genre de message qui nuit au droit à la différence que je revendique.
De quelle façon écris-tu ? Spontanément, peu à peu, impulsivement ?
J’écris lorsque j’en ai envie et quand je suis inspirée. Parfois je commence, et je ne m’arrête plus, parfois, je sens que rien ne viendra et je n’écris pas pendant quelques jours. Il n’y a pas de règles. Sauf quand mon Maître m’impose un certain timing, bien sûr.
Te sens-tu capable d’écrire sur d’autres domaines que la domination/soumission ? Le souhaites-tu ?
Oui bien sûr, je me sens capable d’écrire dans d’autres domaines. Et je pense que je le ferai par la suite. Pour le moment, j’aime ce que j’écris et je n’ai pas encore épuisé toutes mes sources d’inspiration. Alors je continue dans le registre du BDSM. C’est également ce que souhaite mon Maître.
En dehors des jeux sexuels avec ton « maître », en quoi es-tu soumise ou insoumise dans la vie de tous les jours ?
Pour commencer, à mes yeux, il ne s’agit pas de « jeu ». Il s’agit de ma condition. Je ne « joue » pas. Je suis soumise à mon Maître en permanence, quelques soit les circonstances. Que je sois avec Lui ou non. Pour le reste, dans ma vie de tous les jours, je ne suis pas soumise. Il n’y a qu’à Lui que je me soumets, certainement pas à qui que ce soit d’autre. Une soumise, dans le BDSM, est soumise à son Maître, et en aucun cas à tout le monde. Quant à être insoumise, vis-à-vis de mon Maître n’est tout simplement pas envisageable.
Ces jeux extrêmes répondent-ils à la « loi des contraires » ? Autrement dit : un patron dominateur aura-t-il tendance à être sexuellement soumis, et un stagiaire soumis souhaitera-t-il dominer sexuellement ?
Je crois qu’il n’y a pas de règles, pas de stéréotypes. Je pense qu’il faut arrêter de mettre les gens dans des cases.