Cette semaine, voici la première partie des étonnantes et sulfureuses réponses de Gala Fur, artiste aux multiples facettes présente sur la scène érotique depuis plusieurs décennies.
. Qu’est-ce qui crée l’étincelle d’une histoire ? Qu’est-ce qui la déclenche ?
L’étincelle est souvent une situation présente, personnelle ou pas, qui me touche et que je vais développer dans une direction ou une autre, un comportement, l’aventure que vit une personne que j’ai observé pendant quelques temps. C’est toujours à partir du réel que je tire les fils d’une histoire. En manière d’érotisme, j’écris à partir de mes fantasmes, qu’ils aient été réalisés ou non.
« Des jeunes femmes attirées par le SM lisent mes livres. Mes récits relatent des pratiques et des relations sadomasochistes du point de vue de la dominatrice »
. On dit parfois que tout roman a un côté autobiographique. Ecrit-on pour exorciser un certain vécu, ou au contraire pour aller au-delà de soi ?
Mes rencontres sur le plan érotique sont présentes dans mes livres. J’exorcise un vécu une fois que j’ai pris une certaine distance par rapport à une relation ou une situation, la fameuse mise à distance créatrice. Deux années doivent s’écouler avant que la charge émotionnelle s’atténue assez pour que je puisse écrire. Alors je suis capable de romancer, de jouer avec du réel. Dans le récit autobiographique, l’écriture agit comme un miroir en me renvoyant des défauts et des erreurs de comportement sans que j’éprouve le moindre regret à leur sujet. Dans mes livres, je n’arrange pas les choses en ma faveur, non plus en les rendant épiques : ils le sont suffisamment.
. Avez-vous une idée du visage de votre lectorat ?
Des jeunes femmes attirées par le SM lisent mes livres. Mes récits relatent des pratiques et des relations sadomasochistes du point de vue de la dominatrice. C’est un univers qui n’interpelle finalement que les personnes qui se sentent concernées par cette sexualité, au contraire de Cinquante Nuances de Grey qui est un mauvais pastiche destiné à un lectorat vanille, à des personnes qui ont une sexualité autre que la mienne. Mes lectrices sont en général des débutantes ou des femmes qui ont envie de développer leur pratique. Des manuels comme Osez les jeux de soumission et de domination, mais aussi des récits autobiographiques comme Séances leur donnent de l’inspiration, et ce, depuis les années 2000.
La génération qui a lu Séances à sa parution a aujourd’hui la quarantaine. Une nouvelle génération de filles de 20 à 30 ans me remercie de les libérer de certaines appréhensions. Chez les hommes, de rares dominateurs me lisent car ils préfèrent lire des récits dans lesquels les femmes sont soumises, à l’instar du lectorat vanille qui veut savoir ce que ressent une fille qui se livre à un homme, ou vibrer au diapason de ce qu’on lui inflige, comme les midinettes du 19ème siècle ou les lectrices des romans à l’eau de rose au début du siècle dernier, d’où la mode de la romance au contenu émoustillant pour des jeunes femmes d’aujourd’hui. Quelques hommes soumis me lisent et m’écrivent de longs mails par la suite. Ils me proposent parfois leurs services. J’ai de vrais échanges avec certains d’entre eux.
. Est-il simple d’accorder cette vie forcément un peu sulfureuse avec une vie plus classique de famille ? Cachez-vous cette activité littéraire à certains ?
Il m’est impossible de révéler mes petites perversités à ma famille et à certains de mes proches. Je mène donc une double vie. C’est compliqué puisqu’il faut garder le contrôle en permanence. Le contrôle est la règle dans l’état qu’on appelle le topspace, l’univers mental dans lequel baigne un.e dominant.e dès qu’il s’engage dans une interaction. Mais au fond, se sentir à la fois Dr Jekyll et Mr Hyde, je trouve cela très excitant. Lorsque j’étais étudiante, j’ai écrit, dans le cadre de mes études d’Histoire du Cinéma, un mémoire sur le thème du double dans un tas de films dont Persona de Bergman, ce qui n’était pas anodin.
« Depuis quelques années, il y a en effet une recrudescence de soumises car elles n’ont plus honte de ne pas se montrer battantes et conquérantes et sortent en quelque sorte du placard »
. Cet univers littéraire exige-t-il un pseudonyme, ou doit-on assumer ses écrits quitte à dévoiler son identité réelle ?
C’est vraiment au cas par cas, selon les écrivains. Lorsqu’on écrit des textes qui tournent autour du SM, alors on prend un pseudonyme. Même des auteurs de romances ont choisi l’option du pseudonyme qui leur permet de garder l’incognito lorsqu’ils se rendent au guichet de leur agence bancaire ou croise la concierge de leur immeuble, et bien sûr auprès de leurs parents.
. Soudain, votre dernier livre se vend à 10 millions d’exemplaires… indescriptible joie ou énorme angoisse ?
L’angoisse ! L’éditeur et les lecteurs vont attendre la suite. Il faudrait que je me réfugie sur une île déserte, ou bien en Irlande comme Michel Houellebecq, sans téléphone portable.
« Nous sommes déjà soit dominant, soit soumis dans la cour de récréation de l’école »
. Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quelle sera votre prochaine sortie ?
Un livre qui va s’intituler Soumises. Depuis quelques années, il y a en effet une recrudescence de soumises car elles n’ont plus honte de ne pas se montrer battantes et conquérantes et sortent en quelque sorte du placard. Celles que je décris dans les portraits émaillés d’aventures sexuelles et autres que je suis en train de rédiger recherchent une femme dominante mais elles ne sont pas toutes lesbiennes. Quelques-unes sont soumises à des hommes ou à des femmes indifféremment. Mais la soumission est dans leur nature. Elles y trouvent bonheur et stabilité, et ne réussissent pas à changer de rôles quand on le leur propose.
Dans le film My Wonder Women projeté récemment sur les écrans parisiens, le créateur de Wonder Woman enseigne la psychologie dans une université. Il donne une brève typologie des comportements. Nous sommes déjà soit dominant, soit soumis dans la cour de récréation de l’école. Dans sa vie privée, ce professeur d’université était bigame. L’une de ses compagnes était soumise et l’autre dominante. Ils jouaient et vivaient ensemble, tous les trois. C’était un trio heureux. Les soumis sont plus heureux que les dominants car ils se satisfont de ce qui se passe quoi qu’il arrive, comme la jeune masochiste du roman Histoire d’O. Dans d’autres registres, faire le dos rond dans l’adversité plutôt que ruer dans les brancards en voulant imposer sa loi ne génère pas le même stress.
À suivre…
En attendant, découvrez ici l’univers de Gala Fur…