Ensorcelée par le talent du bel homme

L’évolution d’une fille de son enfance à ses années lycée. Son loisir numéro Un : la prestidigitation. Et puis les années passent et un second loisir s’installe, bien moins avouable que le premier…

 

Par chance, la montée en puissance d’Internet eut lieu au cours de sa dixième année… Forums, tutoriels en ligne, vidéos explicatives sur Youtube… Par conséquent, Léa put découvrir des tas de petites indications supplémentaires. Il fallait le jugement d’un « vrai » public, pas un en tissu rembourré de coton. Oncle et tante furent sollicités. Consigne leur fut donnée de rester franc : dès qu’ils repéraient quoi que ce soit, ils devaient le dire.

Certains diraient qu’observer un enfant maladroit, c’est trop chou. Certes… cinq minutes. Certainement pas cinq mois ! Léa fut d’autant plus reconnaissante que tonton et tata jouèrent le jeu jusqu’au bout, faisant preuve d’une étonnante patience. Grâce à eux, les progrès furent… non, pas fulgurants. Tout d’abord assez statiques… puis progressifs… et enfin assez impressionnants. A force, peu à peu, les regards changèrent. Après avoir été peu adroite pendant des dizaines de shows familiaux privés, Léa devint bien meilleure. L’année d’après, elle commençait enfin à réaliser son rêve : bluffer l’entourage. La famille, les amis, les voisins. Lorsqu’elle parvenait à impressionner un adulte, elle se sentait comme une reine. C’était bon pour son ego car elle se sentait non seulement douée

mais aussi belle, élégante, intelligente et sexy.

Maman et papa avaient enfin compris que cela dépassait la lubie passagère. Papa en était plutôt heureux, maman s’inquiétait que sa fille ait toujours du matériel en poche, prête à aborder n’importe quel passant pour lui proposer un tour. Surtout que… n’importe quel passant, oui et non : elle proposait toujours à des hommes, surtout jeunes et beaux.

Vers la douzaine, l’entourage affirmait qu’elle deviendrait magicienne, et même qu’elle chamboulerait ce secteur si peu féminin. Sauf pour sa vieille grand-mère, plus inquiète encore que la mère, croyant à tort y percevoir une homosexualité naissante. Certains vieux sont ainsi, toute fille ayant une activité dite « de garçons » est une lesbienne en puissance. Léa ne voulait devenir ni lesbienne, ni prestidigitatrice. A ses yeux, la scène professionnelle restait affaire masculine.

Elle n’osait pas le dire à maman, très féministe. C’était pourtant sa conviction. Ces grands gentlemen fins en costards et chapeaux haut-de-forme l’avaient toujours fascinée. En regarder un à la télé suffisait pour qu’elle y cherche une figure paternelle. Un père de remplacement qui vivrait toute l’année en costard à la maison, venant la border chaque soir dans son lit, exécutant des tours chaque matin rien que pour elle… Petit fantasme enfantin pas très gentil pour papa.

Léa n’avait pas du tout envie que ces mâles raffinés

soient remplacés par des femmes.

Lorsqu’elle confia tout cela à mamie, celle-ci fut soulagée.

L’année suivante, ses fantasmes envers les prestidigitateurs avaient évolué. Léa y voyait bien moins l’image d’un père, bien plus celle d’un amant. Son attrait pour le domaine s’était renforcé en même temps que son attirance pour les magiciens. Désormais, que ce soit à la télé ou sur Internet, elle ne ratait plus rien. Ils étaient si beaux dans leur costume étoilé, chaque geste touché par la grâce. Il y avait en chacun d’eux une forme de délicatesse presque féminine, et paradoxalement cela les rendait fort virils.

(…)

Les désirs de l’enfant, en passe de devenir jeune fille ou tout du moins adolescente, restaient peu claires. S’il lui arrivait de songer à un homme de scène en se caressant le soir sous les draps ou le matin sous la douche, elle ne concevait pas non plus lui faire Dieu sait quoi. Observer l’artiste était suffisant : un gentil showman revêtu de son noble costume avec une petite moustache sexy et des yeux noirs profonds, rien besoin de plus, et qu’importe s’il y avait des apparats telles lentilles ou maquillage. La personne est un personnage, Léa en avait conscience. Homme ordinaire décidant, le temps d’une représentation, de se grimer en homme extraordinaire.

Tout ceci la troublait…

Plus le mâle était beau, plus elle se laissait avoir

par le tour.

Détournement d’attention, c’est le principe de base… voilà pourquoi on ne voyait jamais de moches. Etait-elle bien normale ? Selon les copines, elle devrait plutôt en concevoir des scènes sexuelles. Ses amies fermaient les yeux en vivant un coït avec une star du ciné ou de la chanson, à poil dans un lit. Non, rien à faire… pour devenir chaude, tout ce qu’elle imaginait était un homme faisant des tours de magie à son intention. Rien qu’ôter le costume serait un tue-l’amour. D’ailleurs sans vêtements, un magicien n’est plus un magicien… ce n’est plus qu’un homme nu parmi tant d’autres.

On lui dit toutefois que le fantasme de l’uniforme était courant, quoique plus fréquent en mode pompier ou facteur… Léa fut quelque peu rassurée. Elle entendit aussi qu’on pouvait faire l’amour sans retirer l’uniforme. Mais il faudrait toutefois sortir le minimum nécessaire, ce qui là encore briserait tout, en plus du risque de taches. Léa n’était pas comprise, et ne comprenait pas les autres. Somme toute, normale ou anormale, elle en était tout du moins une originale. Une fois, pour l’expérience, Léa s’en représenta un en costume de scène avec sexe sorti et dressé en sa direction : la vision l’avait tant écœurée qu’elle n’y avait plus jamais pensé.

Voilà pourquoi, une fois

en âge d’avoir une vie sexuelle, elle ne chercha jamais

la compagnie intime de quelque professionnel que ce soit.

Pour qu’il la satisfasse, il aurait fallu qu’il accepte de s’enfermer avec elle pour lui montrer des tours pendant qu’elle le regarde en se doigtant. Tout magicien à qui elle le proposa, lorsqu’elle fut plus grande, était d’accord uniquement à condition de pouvoir la sauter juste après… et elle ne voulait pas. Un personnage magique ne couche pas, ne mange pas et ne va pas aux toilettes, c’est ainsi ! Léa rangeait ces hommes de spectacle dans la même catégorie que les anges ou le père Noël. Ils auraient dû en être flattés, ce n’était pas le cas. Ça m’apprendra à aller voir en coulisses, se dit-elle. Il ne faut jamais rencontrer le comédien en dehors des planches, c’est là où on s’aperçoit que Cyrano n’a en fait aucun panache. Que les fantasmes restent là où ils sont !

Vers ses quinze ans, toute une nouvelle génération d’artistes apparut, n’ayant plus rien à voir avec l’ancienne. Adieu chapeau haut de forme, cape étoilée, vêtements bleutés virant au noir, moustache frisée, magnifiques chaussures cirées à s’y voir en reflet. Le contrecoup était pris… Place au jean, t-shirt, casquette, veste sans cravate. Pleins feux sur les petits gros, les chauves, le stand-up humoristique, les pitreries, marionnettes, ventriloquisme… L’adolescente était outrée. Pourquoi pas le trapèze ou l’avalage de sabres, tant qu’on y est ? Le mythe de l’intriguant ténébreux était volontairement mis à mal, mis à bas, brisé en mille morceaux. Même ceux des émissions de Patrick Sébastien étaient de plus en plus vulgaires.

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