Fine plume, écrivaine aguerrie s’il en est, Françoise Rey manie le verbe et s’est toujours exprimé avec franchise et sans tabou, comme ses nombreuses apparitions médiatiques en témoignent. Entretien fleuve…
« J’ai tout le roman pour résoudre le mystère. La genèse d’un livre pour moi s’apparente à une gestation, ça se fait un peu tout seul »
. Qu’est-ce qui crée l’étincelle d’une histoire ? Qu’est-ce qui la déclenche ?
Absolument tout et n’importe quoi. Souvent, j’ai seulement honoré une commande, avec une ou des contraintes imposées. Soit le titre, soit la longueur du texte, soit le thème. J’adore cet aspect « sujet de rédac », ça m’inspire. Après, je cherche dans mon casting perso, un visage, une rencontre, une anecdote, un début d’histoire à peine amorcé…et c’est parti !
. Quelles sont vos techniques pour « affronter » une nouvelle ou un roman, le poursuivre coûte que coûte et en venir à bout ?
Pas de technique. J’aime me surprendre moi-même. Parfois, le premier chapitre est une énigme. « Pourquoi l’héroïne est-elle seule dans ce train en robe de mariée ? » J’ai tout le roman pour résoudre le mystère. La genèse d’un livre pour moi s’apparente à une gestation, ça se fait un peu tout seul.
. Qu’est-ce qui fonctionne le mieux… écrire dans la joie et l’apaisement, ou plutôt dans la pression et la souffrance ?
J’écris toujours par plaisir, ce n’est jamais une torture. Mais plus qu’écrire, j’aime avoir écrit. J’aime relire le lendemain ce que j’ai fait la veille.
. Ecrire est un plaisir demandant des contraintes. Comment trouver le juste milieu entre contrainte et plaisir ?
Au risque de me répéter, pour moi, la contrainte est une sorte de plaisir.
. Avez-vous vos propres tabous en matière d’écriture ? Vous arrive-t-il de vous censurer ?
Oui, quand j’ai envie de parler de personnes encore vivantes.
. De quoi vous inspirez-vous pour écrire ? Simplement l’imaginaire, ou bien votre vie, celles des autres, les médias ?
Tout.
. On dit parfois que tout roman a un côté autobiographique. Ecrit-on pour exorciser un certain vécu, ou au contraire pour aller au-delà de soi ?
Je dirais exorciser. C’est ce que j’ai fait par exemple avec La Gourgandine. Après, l’exorcisme nous entraîne parfois, oui, au-delà.
. Avez-vous une idée du visage de votre lectorat ?
Il a évolué au fil des années. Au début jeunes gens ébahis et avides d’audaces, jeunes et veilles femmes exaltées par mes libertés, et mecs cherchant le frisson salutaire à une libido en carafe. A présent j’ai des fidèles, ils ont vieilli comme moi. Un panel un peu intello, parce que je fignole quand même le style, et curieux de ma façon de me renouveler.
« A 35 ans, alors que je suis mariée et mère de famille, je tombe amoureuse d’un homme que j’ai envie de séduire d’une façon personnelle et violente, il n’est pas un grand lecteur, je lui propose des lettres torrides »
. Est-il simple d’accorder cette vie forcément un peu sulfureuse avec une vie plus classique de famille ? Cachez-vous cette activité littéraire à certains ?
Je ne cache rien, je ne revendique rien. Au début, j’ai eu quelques craintes quant à cette double vie, mais tout s’est fait archi simplement, parce que j’ai décidé que ma littérature n’était qu’une infime partie de ma vie, et que j’ai toujours donné la priorité à mes enfants et à mon métier qui me passionnait. J’étais enseignante, et à ce niveau-là aussi le challenge était passionnant.
. Soudain, votre dernier livre se vend à 10 millions d’exemplaires… indescriptible joie ou énorme angoisse ?
Euphorie absolue.
. Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quelle sera votre prochaine sortie ?
Je ne travaille plus guère. La prochaine sortie est un livre sur ma région de vie, « Sensuel Beaujolais », une lecture intime et personnelle de photos de paysages. C’est pour Noël, et c’est assez loin de ce que j’ai pu faire depuis 30 ans.
. Pourquoi avoir choisi cette voie ? Qu’est-ce qui vous y a amené ?
Plusieurs grandes étapes. Je vais essayer de vous la faire courte :
-Dans les années 60 je suis une petite fille à l’éducation assez puritaine : curiosités et élans sexuels tabous, fréquentation des garçons interdite.
-A 15 ans, je découvre Georges Bataille, les 11000 verges de Guillaume Apollinaire, et je ressens un truc inoui, une effervescence de tout mon être. J’envie l’audace et le pouvoir de ces auteurs d’émouvoir le lecteur, sans même me dire qu’un jour, moi aussi, peut-être… Pourtant j’adore écrire, et il paraît que je n’y suis pas mauvaise. Mais j’oublie très vite l’éblouissement de mes découvertes, je l’enfouis même.
-A 35 ans, alors que je suis mariée et mère de famille, je tombe amoureuse d’un homme que j’ai envie de séduire d’une façon personnelle et violente, il n’est pas un grand lecteur, je lui propose des lettres torrides. Il accepte, très intéressé. Je me viole littéralement pour écrire la première lettre, qui deviendra le premier chapitre de la Femme de papier. Résultat fructueux au-delà de mes espérances.
-Quelque temps après, je révèle ma liaison à mon mari, qui doute de l’authenticité du scoop. A titre de preuve, je lui balance la liasse de toutes les lettres écrites pour mon amant (j’avais continué mon entreprise de séduction, mon lecteur ne se lassait pas, ni moi de mon pouvoir). Mon mari lit le tout, me le rend avec ce commentaire : « C’est de la merde, tu montrerais ça à un éditeur, il te rirait au nez ! » C’est là que tout a vraiment commencé.
-Encore quelque temps après, le livre La Femme de papier paraît. Gros succès. Certains me disent : « Quel dommage, avec votre talent, d’écrire ce genre de choses ! » Je pense : « Les cons ! » Et je n’écris plus que « ce genre de choses » pendant quelque 30 ans.
. Êtes-vous auteur professionnel, si oui est-ce un métier difficile ? Ou bien êtes-vous plutôt amateur ou semi-pro ? (En ce cas : votre principale activité est-elle secrète?)
Mon métier, c’était professeur de français. Je suis à la retraite depuis 1999. On m’a souvent demandé si je pourrais vivre de ma plume, à quoi je répondais : l’enseignement est mon gagne-pain, l’écriture mon gagne-brioche.
. Cet univers littéraire exige-t-il un pseudonyme, ou doit-on assumer ses écrits quitte à dévoiler son identité réelle ?
Pour ma part, je m’étais juré d’assumer totalement. Pourtant mon nom de plume n’est pas celui sous lequel on me connaissait au collège, même si tout le monde savait…On me disait : « Vous avez donc pris un pseudonyme ? » Non, j’avais récupéré mon vrai nom, celui de ma naissance, car celui que je portais était, lui, un pseudonyme, c’était le nom de mon mari, dont on m’a étiquetée dès mon mariage sans rien me demander.
. Si vous pouviez étendre votre création favorite sur un autre support, que choisiriez-vous ? B.D., peinture, cinéma, téléfilm, série télé, histoire audio ?
Ciné, télé, séries…
À suivre…
En attendant, découvrez ici les ouvrages de Françoise Rey…