Lorsqu’une libertine en herbe efface les preuves…

Parfois, les souvenirs coquins passent de l’écrit à l’esprit.

Extrait de ma saga littéraire « En attendant d’être grande », ou le journal intime d’une aventurière de sa naissance à son âge adulte…

 

Ce matin en me réveillant, j’ai jeté mon carnet. Quel carnet ? Il est vrai que je ne t’en avais pas parlé. Je ne peux te parler d’absolument tout ô lectrice, ô lecteur. Depuis quelques temps, je notais le fruit de mes expériences. Ce n’est pas prudent vis-à-vis des parents, j’ai pris le risque. Pour maquiller, j’ai écrit ça comme des notes de roman. Mon idée était de faire un guide de la parfaite experte, qui servirait plus tard aux prochaines générations. Oui, ce n’est pas toujours la modestie qui m’étouffe. Tout ce dont je t’ai parlé jusque-là y avait été noté. Bien plus simplement évidemment, avec des mots d’enfant.

Bien plus résumé aussi. Le faire était très amusant car pour cacher le méfait, je remplaçais tous les termes interdits par des mots de rien du tout. Maman aurait pu tomber dessus qu’à priori, je dis bien à priori, elle n’aurait rien saisi. Ainsi, j’y détaillais comment j’avais fait naviguer le bateau de Julius. Que le mât du bateau était très sensible et que, pour bien le faire bouger, mieux valait se rendre au gouvernail. Que le mât était revêtu d’une drôle de capuche qu’on pouvait enlever et remettre, rendant la navigation meilleure.

Que Julius aimait bien que je frappe sur deux tam-tam qu’il me confiait, qu’au début je trouvais ça marrant, mais moins ensuite. J’y racontais également mes rêves, où quand un ogre venait me dévorer, ça me faisait faire du sucre roux.

Que j’avais loupé mon premier échange de timbres au square avec un beau garçon, et qu’il m’en avait abîmé un par inadvertance. Que j’avais appris aux copines à déshabiller leurs poupées avec classe. Que lorsque le soleil me caressait, il y avait des fois où ça me donnait envie d’aller classer le courrier avec quelqu’un. Sur ce point, je n’avais pas été très futée d’ailleurs car « classer le courrier », maman connaissait très bien le sens, puisque c’est elle-même qui avait inventé cette allégorie.

J’avais commencé à conter que Sandrine avait pris ma main pour me faire tartiner une tranche de pain. J’ai tartiné, tartiné, elle a adoré ça au point qu’à la fin elle s’est jetée sur la tartine pour la dévorer comme une femme des cavernes.

Puis soudain, je me suis arrêtée d’écrire. L’expérience avait été si forte. À quoi bon la retranscrire, que ce soit en langage clair ou codé ? Et puis surtout, en écrire un guide reviendrait à en tirer des généralités. Or, en ces instants magiques, tout est unique. Rien n’est reproductible. Mon concept tombait à l’eau ! J’en étais pourtant à presque cinquante pages, un exploit. Seulement, c’était une fausse bonne idée.

Il faut que les générations futures fassent leurs expériences par elles-mêmes, sans chercher à imiter…

ni même s’inspirer de qui que ce soit. Puis tout de même, de telles histoires, il ne serait pas bon pour tout le monde d’en vivre si jeunes. Je pourrais inciter à la débauche, et alors certaines filles se diraient que ce sont des étapes obligatoires de l’enfance, ce qui n’est nullement le cas.

Non vraiment, ça ne tenait pas debout. Avant de le jeter, ce carnet j’en ai fait des confettis. On n’est jamais trop prudente. Les souvenirs sont restés si intacts que c’est comme si je les avais tous écrits. Je sais, tu vas te dire que j’étais folle. Folle d’avoir eu l’idée, ne serait-ce qu’un instant, d’écrire un guide de conseils osés pour enfants. Mais souviens-toi que je n’étais alors… qu’une enfant, et rien d’autre. Une enfant qui raisonnait avec son esprit d’enfant. Autrement dit qui raisonnait sans raison.


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