Deuxième partie de l’entretien avec le poète Cyr…
« La censure est un non-sens en « Etat de Droit » du fait que la littérature est un processus de création de l’esprit, qui même s’il s’inspire de la réalité, produit une fiction »
. Soudain, ton dernier livre se vend à 10 millions d’exemplaires… indescriptible joie ou énorme angoisse ?
Déjà il faudrait que je puisse être édité, ce qui est un vrai problème. La poésie érotique est un genre à part qui ne plait pas aux diffuseurs, le public n’a pas été habitué à ce qu’on lui en propose (sinon des trucs souvent barbants à l’école) et donc c’est un pari risqué d’un point de vue financier (le seul hélas qui gouverne notre monde dans bien des domaines). La poésie est associée aux formulations « ampoulées » ou incompréhensibles. Mon écriture essaye pourtant de renouveler le genre, dans un langage et des sonorités actuelles.
Le format court, instantané, correspond bien aussi à l’époque SMS. Et, même si j’ai un lectorat qui accueille avec enthousiasme mes écrits, y compris les comités de lecture des maisons d’édition, cela ne suffit pas pour convaincre l’éditeur lui-même qui reste soumis aux choix des diffuseurs. Il faudrait faire le « buzz » ou devenir « à la mode » pour espérer lever cet obstacle.
Le succès n’est de toute façon pas ce qui me motive. Produire quelques exemplaires d’objets – livres me comblerait déjà. Je l’envisage pour mes vieux jours, par mes propres moyens, si je n’ai rien d’édité d’ici là. Ni joie ni angoisse donc, l’indifférence aux chiffres plutôt, voir même une certaine aversion. Peut-être n’ai-je pas lu « 50 nuances de machin » aussi pour cette raison…
« Le thème érotique est de toute façon suffisamment universel pour que chacun s’y retrouve, en écho à son vécu ou ses désirs (conscients / inconscients) »
. As-tu tes propres tabous en matière d’écriture ? T’arrives-t-il de te censurer ?
Si j’opère des choix dans les textes que je donne à lire ou pas, ce sont des choix esthétiques, d’écriture, mais pas sur le contenu lui-même.
La censure est un non-sens en « Etat de Droit » du fait que la littérature est un processus de création de l’esprit, qui même s’il s’inspire de la réalité, produit une fiction. Je citerai Agnès Tricoire, avocate spécialiste en propriété intellectuelle et son « Petit Traité de la liberté de création » : « L’art est ce qu’il est, et non ce qu’il dit ou que nous croyons qu’il dit. Il ne faut pas confondre la fiction, même lorsqu’elle se veut « représentation du réel », avec le réel. »
La confusion étant possible, alors, si le contenu peut heurter en soi, en particulier quant à une éthique que je défends par ailleurs (non-violence, égalité homme/femme, respect de l’autre), je fais le choix d’avertir le lecteur plutôt que de me censurer. Cf. http://www.poesie-erotique.net/index.php/desirs/poemes-pour-a/15-texte/poesie/182-aux-lecteurs-trices L’autocensure est un non-sens pour qui sait distinguer le domaine intime et la vie quotidienne dans sa relation à un autre.
De mes propres expériences avant tout, de ma vision poétique de l’espace, du corps… de mon rapport à l’autre.
L’imaginaire a une part active dans tout cela. Peut-on avoir une expérience des choses qui ne soit fondée que sur la raison et ne fasse pas participer l’imagination, l’émotion, les sensations… ? Il est sans doute vrai que si j’écrivais un ouvrage politique, je répondrais autrement, encore que toute façon de voir le monde (même la science) participe à l’écriture d’un mythe.
« Au travers de l’animation de mon site poesie-erotique.net de 2004 à 2014, j’ai eu de nombreuses occasions de me frotter à mon lectorat »
. De quoi t’inspires-tu pour écrire ? Simplement l’imaginaire, ou bien ta vie, celles des autres, les médias ?
Mes poèmes sont autobiographiques pour la grande majorité, mais comme dit précédemment, le processus d’écriture transforme de toute façon le réel. Mes autres textes s’appuient soit sur mes fantasmes, soit sur ceux des autres (dans les échanges épistolaires, duos d’écriture plus particulièrement). Le thème érotique est de toute façon suffisamment universel pour que chacun s’y retrouve, en écho à son vécu ou ses désirs (conscients / inconscients).
Je ne vois pas de contradiction entre l’exorcisme et l’au-delà, mais un même mouvement : sortir de pour aller vers.
. As-tu une idée du visage de ton lectorat ?
Oui, et pas que du visage…
Au travers de l’animation de mon site poesie-erotique.net de 2004 à 2014, j’ai eu de nombreuses occasions de me frotter à mon lectorat : des femmes pour beaucoup et, parmi les hommes, essentiellement mes pairs (auteurs). Des duos (et même un trio) d’écritures sont nés de ces contacts. Certains uniquement épistolaires, d’autres accompagnés de photos érotiques personnelles où chacun se dévoile pour illustrer l’échange écrit, ainsi que quelque uns inspirés directement de rencontres charnelles (ce qui nous amène à la question suivante…).
. Est-il simple d’accorder cette vie forcément un peu sulfureuse avec une vie plus classique de famille ? Caches-tu cette activité littéraire à certains ?
Lorsque j’ai été en situation familiale classique, je n’ai jamais caché à mon entourage que j’écrivais de l’érotisme et que je gérais un site internet. Ma compagne d’alors ne s’est pas intéressée plus que ça à mes écrits. Le problème est d’abord venu du temps que je pouvais y consacrer et que donc je ne lui consacrais pas. Lorsque les duos d’écritures ont aussi été l’occasion d’échanges de photos, elle a émis le souhait que ces illustrations soient des créations artistiques et non des échanges purement anatomiques. Je m’y suis autant que possible conformé, et un projet de photo-poèmes est même né ( http://www.poesie-erotique.net/index.php/157-sensualite-1 )
Mais quand je suis passé à travers l’écran pour caresser certaines plumes amatrices, nous avons intelligemment fini par décider de nous séparer.
Quelque temps après j’ai fait une rencontre qui s’est avérée exceptionnelle et qui a débouché sur la somme des « Poèmes pour A ». Un A. non pour rendre cette muse anonyme, comme j’avais pu le faire auparavant pour une autre dont le prénom, différent, commençait par cette même lettre. Mais pour la symboliser d’une lettre qui débute aussi l’alphabet et tant de mots doux à l’oreille : amour, âme, aventure, amusement… Une femme avec qui je continue aujourd’hui d’explorer l’érotisme en toute liberté, simplicité et complicité.
À suivre…
Retrouvez Cyr sur son site : http://www.poesie-erotique.net/