Entretien avec l’auteure Anne Bert

Anne Bert est la toute première personne à avoir soutenu mes écrits. Tout d’abord, elle en a soutenu le principe même… Lorsque j’ai débuté mes histoires sans tabou, j’ai manqué de peu de m’auto-censurer. Je me disais alors… « Écrire sur tout sujet sans se donner aucune limite, est-ce réellement possible dans le monde d’aujourd’hui ? ». Voulant lui présenter une nouvelle, j’en ai un peu parlé avec elle. Sa réponse m’a encouragé à poursuivre coûte que coûte, d’autant qu’elle me fait l’honneur d’apprécier mon style et d’en avoir parlé plusieurs fois sur son blog. Son état d’esprit, ses réflexions, son regard étant des plus intéressants, j’ai pensé qu’il fallait absolument lui demander de nous en dire un peu plus…

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Théo – Refusez-vous le terme de « auteure érotique », ou tout du moins est-ce un terme qui vous laisse perplexe… Si oui, pourquoi donc ?

Anne Bert – Oui, perplexe. Et dit comme cela ‘auteure érotique » cela suppose que c’est l’auteur qui est érotique et non ses écrits. Dit-on un auteur policier, un auteur fantastique ? De toute façon, il y aura toujours des journalistes et des chroniqueurs qui classeront à leur guise les auteurs, c’est une manie de ranger les gens pour qu’ils se contentent de leur pré carré. C’est comme ceux qui veulent absolument définir si un texte est oui ou non de la littérature érotique. Certains se le demandent encore pour plusieurs de mes titres qui parlent de désir, de sexe, de corps, oui, mais pas comme on s’y attend forcément. Je refuse ce terme en tout cas auteure érotique, (auteure est un barbarisme mais autrice très moche, alors je préfère être barbare), et surtout l’enfermement dans cette case que cela suppose. Du reste si les lecteurs suivent mes publications, ils savent très bien que les choses du corps et du désir sont pour moi un matériau d’exploration de l’âme humaine.

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Théo – Avez-vous une idée de votre lecteur/lectrice type ? Est-ce plutôt un homme ou une femme, quel est son profil, supposé ou imaginaire ?

Anne Bert – J’aime penser que je n’ai pas de lecteur type justement puisque je m’adresse à toutes les générations dans mes livres, aux hommes, aux femmes et que mes textes parlent de tout le monde, de gens ordinaires. En fait, je l’ignore même si je rencontre en chair et en os beaucoup plus de lectrices entre 30 et 70 ans que de lecteurs, les hommes je les identifie virtuellement, ils me font part de leur retour de lecture par courriel ou messages sur les réseaux sociaux.

Théo – On dit parfois que les belles écritures d’antan sont mortes, ou tout du moins qu’elles ressuscitent rarement. Et notamment que des livres tels que « Fifty Shades of Grey » témoignent de la pauvreté du style et du propos de la littérature actuelle en général, ou de la littérature érotique en particulier. Quel est votre point de vue sur tout cela ?

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Anne Bert – Je suis un peu lasse et agacée de ce qui se serine. Il est vrai qu’il y a une tonne de mauvais textes qui circulent, raconter des histoires est une chose, mais en faire de la littérature en est une autre. Mais alors je vous le demande… pourquoi en parler autant et ne pas mettre sous la lumière ce qui s’écrit de bien ? Pourquoi une telle absence de curiosité de la part des chroniqueurs et des médias ? Peut-être est-ce de la paresse…
Théo – « L’autobiographie est inévitable, même dans la fiction ». Que pensez-vous de cet adage ? Nombre d’auteurs ou scénaristes semblent y adhérer. Pour ma part, j’ai beau chercher je ne retrouve aucun trace autobiographique dans mes écrits. Et vous ?

Anne Bert – L’autobiographie dans la fiction ? L’autofiction existe, c’est un genre littéraire définit par Serge Doubrovsky et de nombreux auteurs s’y distinguent, par exemple Christine Angot, Annie Ernaux ou Marguerite Duras entre autres. Isabelle Grell l’incarne aujourd’hui et la défend joliment (voir http://autofiction.org/) Mais votre question cible vraiment la fiction je suppose. Que met-on de nous dans un roman ? Il serait tout à fait faux de répondre : rien. Il est très facile de se planquer derrière le mot roman et de prétendre que cela n’a rien à voir avec nous. Car même si tout est inventé, on y sème forcément ses empreintes et un peu de sa vie comme autant de petits cailloux, consciemment ou inconsciemment. Je pense même que sans cela l’écrivain serait un imposteur. On ne peut dire le monde en restant sur son rebord, sans s’y être trempé.

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En ce qui concerne les livres érotiques, beaucoup y consignent leur vie, sans aucune imagination – et ce n’est pas un jugement de valeur -, d’autres leurs fantasmes bien identifiés, et d’autres encore font caracoler leur imaginaire, loin d’eux. Il peut y avoir aussi un mix de tout cela. Personnellement, je n’aime pas parler ma vie, j’ai des difficultés pathologiques à dire je, à me raconter, sans doute parce que j’ai un goût démesuré du secret. Alors le lecteur peut croire ce qu’il veut, je m’en fiche à vrai dire, si ça lui plaît de croire que je suis l’héroïne de mon roman érotique Perle (qui va d’ailleurs être réédité à La Musardine en février 2016) et que je me suis laissée assaillir par des animacules sur la place du marché d’un village breton, ça m’amuse plutôt, j’ai renoncé à me justifier de quoi que ce soit.

Théo – On se penche souvent sur l’érotisme pour se « mettre en train »… La lecture d’une histoire érotique peut-elle être selon vous liée à une excitation sexuelle, ou bien lit-on surtout pour s’émoustiller l’esprit, sans que cela ne se traduise par quelque acte que ce soit ?

Anne Bert – Je crois qu’il y a autant de réponses que de lecteurs. Tout est une question d’humeur je suppose. L’envie de se détendre ou… de se tendre et de se masturber, l’ennui, la solitude, la disposition aux choses de l’amour, le goût des mots crus et même parfois carrément sales, la curiosité, l’amour de toutes les littératures, il y a plein de raisons différentes qui poussent à lire des livres érotiques. Emoustiller la chair malgré tout, c’est aussi troubler l’esprit. Mais, n’en déplaise à Franck Spengler qui affirme le contraire, on peut aussi lire de la bonne littérature érotique avec plaisir sans ressentir une excitation tangible.

Théo – Pensez-vous qu’il y ait des tabous dans la littérature d’aujourd’hui ? Certains écrits d’hier ayant marqué l’histoire de la littérature, s’ils n’avaient pas existé à l’époque, pourraient-ils être édités en 2015/2016 ?

Anne Bert – Ah, bien sûr que oui, et plus que jamais, les tabous sont nombreux. Notre société s’enfonce dans l’obscurantisme sous couvert d’un libéralisme qui n’est que marchand. Un feu de paille cette chose caliente en vitrine qui ne s’adresse qu’à votre porte- monnaie. Le chiffre d’affaire du cul raisonné est faramineux. A côté de ça, le sexe gentil – pour ne pas dire friendly – s’affiche partout, sans façon, télé, magazine, internet, on en fait même une injonction, baisez, jouissez, sodomisez-vous entre copains copines, fouettez-vous, essayez tout, achetez vos jouets gentiment et…et… restez bien tranquilles. On domestique les pulsions, on contrôle.

Mais alors attention, si vous écrivez un texte licencieux qui évoque le sexe entre enfants, avec des enfants, ou la zoophilie, la nécrophilie, les meurtres, le sadisme, le masochisme, ou je ne sais quelle paraphilie, vous allez vous faire éreinter par la censure et la critique. Bien sûr que Sade ne serait plus édité aujourd’hui. ! Bizarrement, dans les séries policières à la télé, les scenarii ne sont nourris que de ça : meurtres et tortures d’enfants, pédophilie, crimes et pratiques inhumaines, dépeçages…en prime time, et le tout à grands renforts de scènes et d’images explicites, imposées et indélébiles. Tartufferie ! Quand on sait que l’écrit, au moins, laisse le lecteur libre de forger ses propres images ou d’y renoncer d’ailleurs. La culture est dangereuse, c’est bien connu.

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Théo – Pensez-vous que l’on écrit autrement de la littérature érotique selon que l’on soit homme ou femme ? Est-ce que cela se repère dans la lecture, selon vous ?

Anne Bert – Non, je ne crois pas. Sauf peut-être pour des écrivains qui ne se départissent pas des clichés.
J’ai lu des livres formidables à la première personne, dont le personnage était du sexe opposé à celui des auteurs.

Théo – Beaucoup d’auteurs restent anonymes (au moins partiellement), tandis que vous, ne faites aucun mystère de votre identité (nom, visage…). Est-ce un choix dur à assumer ?

Anne Bert – Dur, non, mais pas toujours facile autour de chez moi, en 2009.
Cela peut aussi être un problème pour présenter des manuscrits dans les maisons d’édition. Mais c’est un choix que j’ai toujours assumé et, quoiqu’on dise de la liberté sous le masque, moi je préfère la liberté à visage nu, c’est une façon de rester debout face à toutes les adversités, d’apprivoiser et de dompter ses peurs, d’assumer sa vie. C’est un engagement envers soi dirais-je.
Sinon, le masque, ça peut-être un jeu, oui, même parfois tentant, j’ai pensé m’y glisser pour œuvrer ailleurs, autrement. Et j’y ai renoncé pour toujours. J’exècre l’anonymat lorsqu’on s’exprime, c’est trop facile, si facile, internet en est la preuve la plus éclatante. L’anonymat permet plus d’atrocités que de beauté.

Théo – Écrivez-vous actuellement ? Si oui, que nous préparez-vous ?

Anne Bert – Je viens de terminer un texte sur le thème du mensonge. Je l’ai commencé il y a un an et demi. J’en suis au fignolage et cela m’apaise, je suis moins oppressée comme je le suis toujours en écriture. Ensuite, après une pause jusqu’à la fin de l’année, je vais m’attaquer à un autre manuscrit plus délicat. Et je crois bien que le mot « attaquer » convienne…


Un grand merci à l’auteure pour ces réponses.

Son site : http://www.anne-bert.com/
Son blog : https://anneelisa.wordpress.com/
Sa page Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_Bert
Ses livres et eBook sur Amazon : http://www.amazon.fr/Anne-Bert/e/B004MU9I20

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