Lorsque les libérées deviennent pudiques

Départ en vacances pour les deux meilleures copines du monde, Chloé et Clarisse. Tante Marthe conduit, et la grande cousine Estelle est bien entendu de la partie. L’occasion d’interroger tata sur son rapport avec les mâles…

Marthe était égalitaire : lorsqu’elle s’occupait de nous deux, aucun traitement de faveur. Et quand Estelle était là, le comportement était le même pour toutes les trois. Du coup il faudrait partager Marthe avec Clarisse. Non seulement ma copine voulait sa part, mais en plus se comportait comme une nièce. Elle l’appelait « tata » de plus en plus souvent. Intérieurement ça me faisait un peu râler, en même temps être la chouchou m’aurait gênée.

— Dis tata, t’as plus d’homme ?

— Ça dépend des jours ma petite, ça dépend…

— Et aujourd’hui ?

— Tu vois Chloé, je sais pas trop ce que veut dire « avoir » un homme, ou « être avec » un homme.

Mon homme n’est pas mon homme. Il appartient à lui, pas à moi.

— Où tu nous emmènes ?

— J’aime bien les vacances où tout n’est pas prévu. Ma sœur le voit pas d’un très bon œil, je sais…

— Ta sœur ? Qui ça ?

— Tata parle de maman ! Oh là là, Clarisse…

— Heu… ah oui bien sûr.

— C’est pas étonnant, maman voit jamais rien d’un bon œil. Elle t’a dit oui parce que pendant ce temps elle peut faire ce qu’elle veut. A propos d’hommes, tiens ! Grâce à toi elle va s’en taper pas mal.

Chaque minute passée nous rapprochait de nos retrouvailles avec Estelle. Cela nous rendit, Clarisse et moi, excitées comme des puces. Petit passage à la station-service, on prit le temps d’aller aux lavabos se faire belles pour elle,

avec autant de rigueur que des jeunes filles se préparant à rejoindre leurs petits copains.

Robe blanche et rouge offerte par tata pour ma pomme, que je tirai pour gommer les plis, cheveux bien peignés en arrière, un peu en bataille pour ne pas faire trop sage. Pour Clarisse, nœud dans les cheveux, petite frange sur le côté et jupe. C’était stupide : dès qu’on la verrait on se jetterait sur elle et nous serions chiffonnées et décoiffées en un clin d’œil.

— Eh arrêtez vous m’étouffez ! Lança joyeusement Estelle en nous rendant nos baisers comme elle pouvait.

— Comment tu nous trouves ?

— Jolies comme tout, pourquoi ?

— Parce qu’elles ont passé une demi-heure à se pomponner, dit Marthe. C’est pour ça qu’on est en retard.

— Pas une demi-heure tata, t’exagères !

D’habitude Estelle montait à l’avant, sur notre insistance elle s’installa à l’arrière entre nous deux, chacune accrochée à son bras comme des petites de maternelle. Elle demanda qu’on la laisse un peu respirer. On la questionna sur tout, ses amis, ses dernières aventures, la fin de l’année, pourquoi elle était si mal fringuée. Estelle était en mode exploratrice : pantalon de toile rapiécé, chignon, t-shirt trop large un peu sale, sac à dos aussi grand qu’elle.

Et malgré tout magnifique. Ma cousine revenait d’un séjour en tente. Après avoir passé quelques jours chez son père, elle avait fait un festival rock avec des copains, puis était partie aider à l’installation d’un camp scout. Passée « chef », elle s’occupait de groupes de huit-dix ans… elle qui n’était pas si loin de sa propre enfance ! Si Clarisse et moi avions été chez ses scouts depuis des années, nous serions tellement plus dégourdies aujourd’hui.

Le premier lieu visé était la montagne. Clarisse et moi avions tant envie de mer ! Cela se lu sur nos visages, à tel point qu’en quelques minutes à peine

mère et fille décidèrent de changer un peu leurs plans, rien que pour nous.

Soudain, on fonçait vers la plage. Au programme : camping municipal et sable. Sans l’interdiction de retirer nos ceintures on serait allées faire pleins de bisous baveux à tata. Du coup on se rattrapa sur Estelle, dont nous allions finir par user les joues.

Après de nombreux kilomètres, nous voici à la station balnéaire. Cadre très touristique, un peu trop à notre goût… on n’allait pas faire les difficiles. Les plages trop peuplées exigeaient un accoutrement classique, on feignit de ne pas y prêter attention : tata et Estelle étaient déjà assez gentilles pour qu’on ne les embête pas sur ce point. Pour passer outre, retour aux fondamentaux : soleil plein la tête, nager trois fois par heure, jouer. Châteaux de sable, labyrinthes de sable, on savait même faire des voitures de sable et des visages de sable.

Dans l’année on s’entraînait dans les squares, l’été c’était la consécration. Nos œuvres attiraient des couples, des enfants, des familles… Certains les immortalisaient ! Et en un temps où chaque photo coûtait cher. Pas mal de petits nous entouraient, qui firent venir, une fois de plus, leurs grandes sœurs et grands frères. Les plus machos se cachaient derrière des lunettes noires pour masquer une timidité inavouée, les plus âgés faisaient mine qu’on avait treize ou quatorze ans.

A croire que nous avions une canne à pêche à mecs !

Une canne des plus étranges d’ailleurs, même quand nous ne la lancions pas elle ramenait du bon gros poisson baveux et globuleux.

Ç’aurait pu être l’occasion de se faire quelques copains-copines, se faire draguouiller un brin. Cela faillit être le cas… la crétinerie ambiante nous en fit passer l’envie. Trop de frime tue la frime, la compétition entre garçons n’était pas drôle. Comme si ça ne suffisait pas, des tas de pimbêches de notre âge se pavanaient telles des stars, allongées lascivement sur le ventre pour bien faire ressortir leur derrière ou cambrées pour faire gonfler la poitrine. Leurs yeux étaient cachés sous de grands chapeaux de paille (la mode estivale), histoire de mettre plus en avant le cul que le regard. Quant à la démarche, même dans le sable on les aurait crues au festival de Cannes. Quant aux maillots, ils étaient tous deux pièces, même pour les sans poitrine !

Je ne sentais chez elles aucun esprit farceur et joueur, elles se prenaient tellement, tellement trop au sérieux ! Pour couronner le tout, lesdites pimbêches avaient beau avoir mauvais genre, nombre d’entre elles restaient

fort jolies, attirantes, ce qui me faisait complexer.

Dans le lot de regards masculins, pourtant, certains étaient pour nous. Nous, oui, toutes pleines de sable, décoiffées, juste revêtues de deux encombrants petits slips de bain ne couvrant que le strict nécessaire. Comme quoi, nul besoin de mille apparats pour attirer.

Des garçons nous tournaient autour soi-disant pour nos œuvres, ne louchant en fait que sur nos popotins tout juste cachés par les tissus, et surtout nos seins naissants à découvert. Signe que nos formes… prenaient forme. Les maillots masculins, eux, étaient affreusement moulants, on pouvait estimer la taille de chacun au repos, longueur comme circonférence. Clarisse rigolait devant ce triste spectacle tandis que moi je m’agaçais… même si avec Sandrine, des postures aguicheuses à la plage on en avait fait pas mal. Avant cet épisode, et là pour le coup sans rien sur le corps…

Au moins

nous, avions eu la décence d’être entièrement nues.

Avec Clarisse, nos habitudes libérées n’avaient plus cours… plus jamais on ne se changeait sur la plage. En fait, ces garçons ne nous plaisaient pas et nous gênaient. On fit même tout pour s’enlaidir. Achat de deux affreuses casquettes jaune fluo, lunettes noires trop grandes, cheveux attachés… sous l’œil hilare d’Estelle et tata. En plus, ça ne changea rien, voire cela empira. J’aurais dû m’en douter, sur une telle plage les valeurs sont inversées, pour les vacanciers le laid est sexy.

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