Esotérisme rime avec érotisme

Agathe se remémore sa vie passée, si récente pourtant, avec son petit copain. Entre leurs bons moments et le terrible accident, un rien de temps s’est écoulé. Temps révolu semblant à la fois si loin, si proche…

Lundi, leur soir rien qu’à eux, leur petite tradition. Malgré les emplois du temps chargés, il leur fallait au minimum une nuit par semaine, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, l’université de Sandrine et le travail d’Amaury ne leur permettant pas encore de faire autrement. En semaine ils se croisaient dans la capitale au gré des envies et possibilités. Parfois pour une expo ou un verre, parfois pour une balade, parfois pour un désir à assouvir discrètement dans une ruelle ou derrière un buisson de square.

Du premier jour de leur rencontre,

ils n’avaient pas manqué un seul rendez-vous hebdomadaire.

Plus d’un an déjà… la date semblait si loin, si proche. Tout avait débuté de façon crue, dans une parfaite entente sexuelle. Les gestes, les mouvements étaient harmonieux dès la première nuit, et ni l’un ni l’autre ne voulait renoncer à revoir le coup du siècle. Et puis, ils prirent de plus en plus plaisir à parler, sortir. Pour trois fois rien… faire quelques pas, regarder passer les nuages ou se faire un ciné. Une relation somme toute classique, mais exceptionnelle à leurs yeux.

Le sexe nocturne restait parmi les souvenirs les plus fous. Dans ces moments d’intimité, leurs corps n’étaient plus les mêmes. Comme aimantés, ils pouvaient batailler l’un contre l’autre pendant des heures, sans même sentir la fatigue. L’esprit ne contrôlait plus les mouvements, le désir emportait tout sur son passage et les emmenait jusqu’au lendemain matin. Au début de leur histoire, l’amante en avait des courbatures pour la semaine entière.

Pas pour lui, sportif depuis son plus jeune âge. Elle se dit tout d’abord qu’ils lèveraient le pied les nuits suivantes. Ils n’avaient pu. Aussi s’était-elle remise à la gymnastique, au yoga et au footing. Préparation des membres, détente du corps et de l’esprit… Cela lui faisait le plus grand bien. Depuis, elle organisait ses exercices en fonction de l’approche du lundi. La jeune fille préférait les faire seule et rideaux tirés. De nombreuses répétitions étaient suggestives… et pour cause, elle adaptait en fonction.

A force, elle aurait eu

de quoi écrire un guide de la préparation au sexe.

Allongée sur le dos, relevé du bassin en pliant les genoux, cinquante fois.

A genoux, tête de l’arrière vers l’avant, lentement puis de plus en plus vite, cent fois.

A genoux encore, cuisses plus écartées, paumes au sol, mouvement de balancier du fessier, cinquante fois en cercle, cinquante d’avant en arrière et cinquante de haut en bas.

Rotation des poignets, trente fois dans un sens, trente fois dans l’autre.

Quarante pompes à quatre pattes : seuls les bras et le buste s’abaissent et se redressent.

Et quelques autres… Savoir tenir le rythme, renforcer les muscles des cuisses, agrandir l’écart des jambes…

Bref, se donner les moyens. Permettre à son corps d’enchaîner les fellations, les chevauchements, les levrettes.

Et bien sûr pour achever la séance, l’exercice le plus secret de tous : s’enfoncer le majeur le plus loin possible en son sexe puis l’agiter frénétiquement dix bonnes minutes durant avant de reproduire le même geste avec l’anus. Le mouvement, exécuté ainsi, n’avait rien d’excitant et n’était pas même une caresse.

C’était un

exercice d’endurance, que ses parties intimes soient prêtes

et n’aient pas ensuite rougeurs et irritations. D’autant qu’à son atelier danse du mardi, il y avait douche collective : si à chaque fois son entrecuisse était couleur homard cuit…

Le reste de la semaine, le yoga l’apaisait après une grosse journée de cours. Là encore, un sens inavouable s’y cachait : Sandrine choisissait chaque exercice en fonction d’une position coïtale. Au fond le sexe restait son sport favori, l’activité physique pratiquée le plus intensément. Et si en semaine l’étudiante était une sportive du dimanche, la nuit du lundi au mardi la transformait en championne de compétition.

— Sandrine ? J’ai pas arrêté de t’appeler. Je suis aussi allée sonner à l’appartement, t’étais pas là.

— J’étais là. J’ai pas répondu. J’ai répondu à personne, m’en veux pas.

— J’ai allumé un cierge pour lui à l’église, et j’ai fait ma prière de l’ange. Je suis tellement désolée, je sais pas quoi dire. En tout cas je ferai tout ce que je peux pour t’aider.

— Justement. J’ai besoin de ton aide.

— Bien sûr pupuce, qu’est-ce que je peux faire ? …Tu veux qu’on aille se changer un peu les idées ? Ou alors qu’on prie ensemble ? Je sais pas ce qui pourrait te faire du bien…

— Je voudrais qu’on fasse un rituel. Avec Amaury. Tu vois ?

— …Vraiment ?!

— Me dis pas que ça t’es pas passée par la tête.

— Si bien sûr. J’osais pas t’en parler.

— Il y croyait pas. Vraiment pas du tout. Entre lui et moi c’était un sujet de discorde. Le seul d’ailleurs.

– Je sais,

c’était LE sujet tabou entre vous.

Quand je vous voyais tous les deux en même temps je savais qu’il fallait pas en parler.

— Est-ce qu’on pourrait aider son âme à monter vers la lumière ?

— En tout cas on perd rien à essayer.

— Et est-ce que tu penses qu’il y a une chance… au moins une toute petite chance pour que je parvienne à entrer en contact avec lui ?

— Je voudrais pas te faire de faux espoirs. La plupart des gens qui pensent réussir une séance de spiritisme sont dans l’illusion. Ils croient sentir, voir ou entendre. Les vrais contacts sont rares.

— Mais ils existent. Non ?

— T’as ma parole qu’ils existent. J’en ai vus, j’en ai vécus. Deux ou trois fois, j’ai même été témoin d’évènements à tomber par terre.

— Si ça se trouve il est ici. Et il voudrait sécher mes larmes…

— …Ou bien il est très loin. Peut-être déjà dans la lumière ? Ce serait tout ce qui pourrait lui arriver de mieux tu sais.

— Je suis certaine qu’il partirait pas sans… comment dire ? Au moins une dernière attention envers moi.

— S’il y a une possibilité faut la saisir sans attendre. Plus le temps passe, plus l’âme risque de s’éloigner. Je prépare le matériel et j’arrive. Toi, allume trois bougies, blanches de préférence.

Ferme les volets, éteins les lumières, vide ton esprit.

Je suis là d’ici une heure.

La jeune fille prépara tout. Il était peu probable que cela fonctionne. Seulement, si elle ne tentait pas elle le regretterait toute sa vie. Au moins aurait-elle essayé.

Vanessa frappa à la porte avec un peu de retard, sans sonner pour ne pas perturber son recueillement. Elles s’enlacèrent longuement, échangèrent quelques mots. Il y avait si peu à dire. Vanessa déploya le contenu de son sac : un grimoire, de l’encens, un pendule, une statuette du Bouddha, une carte de la région du drame imprimée via Internet. Elles s’assirent en tailleur, sur la moquette du salon.

— Je te répète de pas faire de plans sur la comète. Je sais pas du tout si on aura une manifestation. Au moins ça aidera son âme à s’épurer des ondes négatives.

— Tu penses qu’il est encore âme errante ?

— En cas de mort brutale et imprévue, c’est souvent le cas. Surtout avec toutes les attaches qu’il a sur terre… une en particulier, c’est vrai.

Sandrine se rappela alors qu’on était lundi soir.

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