Secret sexuel… Je sais que tu sais.

Chloé a vécu ses premiers émois amoureux il y a peu. Le monde parental en ignore tout… Et heureusement, car tous ces « grands » seraient fort choqués. En revanche, rien ne semble jamais échapper à l’intuition d’Estelle, la grande cousine…

Extrait de ma saga littéraire « En attendant d’être grande », ou le journal intime d’une aventurière de sa naissance à son âge adulte…

 

Estelle et moi, en nous promenant, avons échangé autour des vacances désormais révolues. Après quelques minutes, le silence s’installa. Lui prenant la main, je lui dis sans la regarder « je sais que tu sais ». Aucun doute, elle était au parfum. De quoi ? Du principal…

Il s’en fallut d’un cheveu que je ne tombe amoureuse de Charlie. Il suffisait d’un tout petit pas en avant, ou de côté. J’ai préféré un pas en arrière et changer de direction. Je croyais qu’en ce domaine on ne contrôlait rien. Bien des adultes le pensent jusqu’à leur dernier jour, dit-on. Encore un nouvel enseignement du ciel. Si j’avais chuté, l’histoire aurait viré à la catastrophe. J’aurais tout fait pour le revoir… sans retrouver sa trace, ou sans recevoir de réponse, ou pire encore on se serait revus et nous aurions détesté.

Nous avions placé la relation trop haut pour que d’hypothétiques retrouvailles soient réjouissantes. Qu’importe, ça n’enlevait rien, et Charlie gardera une place en mon cœur jusque dans la tombe. Mon été, c’était lui !

Le reste était secondaire, à commencer par ce Tom qui m’a pris de haut, pris la main, pris la tête, alors que je demandais juste à être prise tout court.

Enfin je crois… Il a bien fait de s’abstenir, j’ai eu tellement mieux à la place. Estelle était plus lucide.

« T’aurais eu cent mecs avant Charlie, là oui, t’aurais pu l’estimer à sa juste valeur. Là, t’étais dans la passion aveugle du premier amour. Aucun reproche ! Cent mecs c’était vraiment, mais alors vraiment pas possible, et heureusement».

Il va sans dire qu’elle ponctua sa phrase par ce rire que j’aimais tant.

Je ne devais pas me mentir : oui, j’avais été bercée dans l’illusion, même avec Charlie. Portée sur un petit nuage, je n’en étais pas encore vraiment redescendue. Que c’était bon… c’est comme si ses bras m’entouraient encore. Comme si son souffle était dans mon cou, que son parfum persistait sur ma peau, que son pénis long et dur écartait encore les parois de mon vagin.

Je planais presque encore plus en son absence. Plus concrètement, je venais, je crois bien, de me créer un « marqueur », dixit Estelle.

Les garçons à venir seraient comparés à lui. Il ne m’en faudrait pas cent, mais mille. Des partenaires d’un soir ou des amours de toujours.

C’est par ce chemin que je pourrai détecter l’homme de ma vie, le jour (la nuit ?) où je le rencontrerai. Mille… Pour de bon, mille ?! La pensée n’était pas déplaisante.

Tu t’étonneras peut-être d’en avoir si peu lu sur l’école et le collège, jusqu’à présent. Qu’y puis-je ? Mon année de sixième fut banale. Les années de primaire tout juste dignes d’intérêt. Je sais, en principe c’est là qu’on parle de premières vues sur les garçons, qu’on entrevoit la crise d’adolescence… Patience. Jusque-là, ce n’est pas qu’il n’y avait rien à dire, surtout rien d’intéressant à écrire. Jusqu’à l’anniversaire de mes douze ans, quatre-vingt-dix-neuf pour cent du sens de ma vie se concentraient sur les vacances. Tout allait changer dès la rentrée…

Post-scriptum de rentrée brumeuse

Tout débuta de façon banale. Un de ces moments anecdotiques, majeure partie du quotidien, qui de coutume t’es épargné. Seule dans le jardin de tata Marthe, à l’ombre, contre un arbre, un brin lasse, sereine pourtant, enveloppée d’une fraîche robe à fleurs, je croquais les pommes tombées à terre. Insouciante, je célébrais la fin de l’été et l’imminente rentrée scolaire avec paresse et mollesse. Sans angoisse ni exaltation. Je sentais un vrai nouveau départ… Non par rapport aux cours qui m’attendaient : ça, ce n’est jamais un vrai départ, plutôt un éternel recommencement, avec ce sentiment chaque année de refaire la précédente.

Surtout, c’était la première fois que j’abordais la rentrée avec une telle maturité de corps et d’esprit. Au moins de corps. Après un été comme celui-là, je me disais que plus rien ne serait jamais comme avant. Les contrôles à venir m’importaient peu, mon seul souhait, en cet instant, était de voir surgir un lapin en retard qui m’emmènerait dans son terrier à la découverte du pays des merveilles.

J’adore les pommes. J’ai toujours trouvé cet aliment très sensuel.

Qu’y-a-t-il d’excitant dans l’image d’une fille mangeant une pomme ? Qu’importe, c’était enivrant, surtout de retour du caté.

Si, le catéchisme ! Les grands (papa, maman, tata Marthe) s’étaient mis d’accord, fait incroyable, pour m’y inscrire, et en cette journée je me remettais de ma troisième heure. Tata la soixante-huitarde, maman l’éternelle râleuse, papa le télévore. Et moi, Chloé, au centre de cet accord ! Me voilà symbole de réconciliation, même si le pacte de non-agression ne durerait sans doute pas. La prof avait été celle d’Estelle, quelques années plus tôt, qui en avait gardé un excellent souvenir. Estelle, la croyante libérée. Ou plutôt l’ultra-croyante ultra-libérée. Si cette religion n’était pas pleine de bizarreries ce ne serait pas une religion, et Estelle en était un symbole.

Madame Michu était une vieille peau, barbante comme tout, racontant mal. C’était du moins mon impression au début. Au cours numéro Un je me dis que ce serait un calvaire, un vrai chemin de croix si j’ose dire. Dès le deuxième, je m’aperçus que les récits, si mal contés soient-ils, me plaisaient bien. C’était là l’essentiel du cours, il n’y avait pas tant de discussions, encore moins de débats. Dans la foi on parle beaucoup et on s’interroge peu, car plus de questions il y a, plus on repère de contradictions. Je n’en ai jamais voulu à madame Michu (je ne crois pas que c’était son nom… qu’importe, ça lui va bien). Aimant me taire et écouter, j’étais une élève appréciée.

Les histoires étaient toutes plus exaltantes les unes que les autres. Eve toute nue croquant dans la pomme, le serpent phallique glissant entre ses jambes, les tromperies, les fratricides ! (Pas plus de serpent que de lapin auprès de mon pommier). Sang, sueur, larmes et poussières ! Notre conteuse décrivait cela comme une scène d’horreur (somme toute elle ne lisait pas si mal) tandis que je me tortillais sur la chaise. Mon fantasme de la pomme viendrait-il de là ?

Plus d’une fois mon bassin se mit à remuer en écoutant ces terribles légendes.

L’enfer et son feu dévorant, les enfants d’Adam et Eve couchant entre frères et sœurs, Marie Madeleine, Sodome, Gomorrhe et tutti quanti. En définitive, c’est qu’il y en avait du cul ! Même les scènes d’égorgement étaient grisantes…

La bible est trop intense pour mener à la raison. Tout y est grandiose et grandiloquent, on ne peut que s’y égarer, y perdre l’esprit. Pas étonnant que plus on y baigne plus on est barjot, quel que soit le livre saint. C’était ma réflexion en croquant la cinquième pomme. Il fallait que j’arrête, j’allais me rendre malade.


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