Jolie inspectrice entêtée

Une inspectrice entêtée, un condamné à mort dans un état américain le permettant encore… Mais quelle est cette drôle d’histoire ? En quoi va-t-elle réchauffer l’atmosphère et nous faire hérisser le poil ? Patience… Et découvrons les toutes premières lignes de cette sombre nouvelle. La sensualité se cache souvent là où ne l’attend pas. Et adore se mettre en embuscade…

 

Lou Billberg, inspectrice quadragénaire, affichait un air de garçon manqué. Jean serré, rangers militaires, t-shirt et cheveux attachés, elle était en mode travail, prête à courir et ceinturer quelqu’un s’il le fallait. Même ainsi, malgré elle, Lou attirait la gent masculine…

Ceux qui aiment la femme forte et dominatrice sont plus nombreux qu’on ne le pense.

Perfectionniste, elle avait tenu à accompagner son homme jusqu’au bout : après tout, c’est elle qui l’avait fait arrêter, elle lui devait bien ça. Surtout, Lou voulait s’assurer du bon déroulement des choses. L’imposant bâtiment de briques rouges ressemblait à une fourmilière. C’est rare cette couleur pour un hôpital, se dit la femme. Si je pouvais me transformer en l’un de ces insectes, cela m’éloignerait des turpitudes de ce bas monde. Oui, ces fonctionnaires, pris dans leur globalité, n’avaient pas des comportements humains.

Tous semblables, mêmes habits, même démarche, grouillant en tout sens dans un ensemble absurde, informe et uniforme. Mais en réalité chacun doté d’une tâche bien précise. Ce chaos n’était qu’apparent, en fait tout s’organisait avec minutie… Pas de doute, comme chez les fourmis. De jour comme de nuit, toute la semaine, rien ne s’arrêtait jamais. Tous ces médecins, infirmiers et urgentistes passaient et repassaient sans fin dans les couloirs : rien qu’à les voir c’était épuisant. La société tourne ainsi, pour que ça fonctionne il faut parfois oublier toute individualité.

L’endroit n’avait pas été choisi par gaîté de cœur. C’était l’unique établissement apte à recevoir l’individu que Lou avait fait mener. Quant à l’exécution prévue pour le lendemain, l’homme, Lucas de son prénom, avait opté pour la corde. La loi exigeait de respecter son choix, dans cet état très peu de pénitenciers étaient encore équipés du matériel adéquat. L’avait-il fait en connaissance de cause uniquement pour rendre l’exécution plus difficile, allez savoir.

On ne savait jamais ce qu’il pensait : était-il amusé, apaisé, angoissé, excité ?

Ou bien son esprit était-il vide ? Près de neuf-cents kilomètres séparaient la potence de la cellule dans laquelle il se trouvait, au cœur dudit hôpital. C’était beaucoup, c’était bien peu… On avait prévu un arrêt d’une seule nuit. Lou s’en serait volontiers passée. Aucun aéroport dans la région, ni train : le trajet ne pouvait se faire qu’en convoi, et une pause était obligatoire.

A quoi bon offrir une nuit supplémentaire au triste sire… lui-même ne la désirait sans doute pas. Au moins, tout serait réglé demain et on n’entendrait plus jamais parler d’un tel monstre. Enfin, plus jamais parler… hormis les émissions télé qui feraient une rétrospective de son parcours et quelques universités spécialisées. Hélas, le public retient toujours un nom associé à des meurtres, comme Charles Manson ayant inspiré un chanteur de rock. Pour Lucas, l’affaire était si indéfendable que même les associations anti-peine de mort n’avaient pas fait le barouf habituel.

L’étage auquel se trouvait l’inspectrice comptait à lui seul près d’une centaine de chambres. On n’était pas dans cet établissement à « échelle humaine » promis par le gouvernement en début de mandat. L’heure est à la centralisation, même pour les malades, se dit Lou. Ce soir, parmi ces milliers de pièces, une seule d’entre elles avait l’air occupée : celle de Lucas Downest.

On ne se trouvait pas à l’étage des détenus mais en isolement psychiatrique. Si Lucas était pourtant un détenu, certains considéraient son cas comme psychiatrique : aussi possédait-il les deux statuts. La direction avait beaucoup hésité.

Les médias signaleraient certainement ce choix, ça ferait encore polémique, quelle barbe.

Lou savait que Lucas Downest n’avait rien d’un fou, il avait toujours agi en pleine conscience, avec froideur et mesure. Chaque geste calculé, préparé au millimètre.

Bien entendu, on avait choisi la chambre la plus sécurisée de toutes. Porte en chêne armé, barreaux de béton, lit-camisole à douze attaches : notre condamné était gâté. Une quinzaine de mètres plus bas se trouvaient les détenus de la région ayant besoin de soins momentanés : Downest ne les perturberait pas. Quant aux fous de l’étage présent, qu’importe : ils étaient perturbés jour et nuit quoi qu’il arrive.

L’affaire Downest avait défrayé la chronique des mois durant. En fait, l’affaire défrayait toujours la chronique. Putains de journaleux, songea Lou en jetant le quotidien du matin à la poubelle. Ces charognards presseront le sujet jusqu’au bout. Après avoir étudié le parcours de Lucas et détaillé chaque méfait, ils se pencheront sur son enfance. Ses parents, son voisinage. Ils feront appel à des pseudo-spécialistes qui émettront mille hypothèses. Et comme tout sera dit trop vite, on brodera. On brassera du vent.

A l’heure qu’il était, plusieurs maisons d’édition devaient déjà programmer des sorties « littéraires ». Nul doute que des producteurs prévoyaient un film… Une série ? Tout cela se ferait sans elle, l’inspectrice ayant rejeté en bloc les nombreuses demandes (interview, séance photo, reportage, débat télé, co-scénarisation… les appels, eMails et courriers s’étaient amassés).

Dès demain, Lou prendrait ses congés et s’efforcerait d’oublier. Partir, partir loin d’ici et penser à tout sauf au boulot. Aller voir les amis, la famille, faire du sport, manger au resto, se balader en forêt, respirer un peu d’air frais. Se mettre en mode fille, enfin, ce qui ne lui était plus arrivé depuis des mois. Talons, jupe, robe ou chemisier.

Draguer et se faire draguer, emmener quelques hommes dans son lit, un à la fois sauf en cas de grosse envie, en ce cas pas plus de deux en même temps.

Pourquoi pas quelques petits délires de ce genre, ça lui ferait le plus grand bien. Pourquoi pas aussi quelques conquêtes féminines, il serait temps, sa dernière datait de plus d’un an. Danser, se lâcher, faire la fête. Surtout, changer de look du tout au tout, pour que personne ne reconnaisse « celle qui a fait arrêter Downest ». Au moins ainsi les hommes coucheraient pour elle seule (que ce soit pour sa conversation ou son cul peu importe) et pas pour s’être tapés la « star » du moment.

Dès l’exécution passée, l’essentiel serait donc de briser ces deux ans d’enquête (« traque » serait terme plus approprié) qui voyaient enfin leur aboutissement ici. Lucas Downest n’était sous les verrous que depuis un an, juste le temps de mettre son périple au clair. Fait rare, il fallut ensuite à peine une semaine pour qu’on ordonne sa mise à mort. Quasiment tous les faits avaient été jugés par contumace, faits que Downest avait ensuite avoués sans broncher… Que faire d’autre.

Les crimes étaient de nature très diverse. Parfois un menu larcin, un passant dépouillé, voire un simple petit vol à l’étalage. Parfois un braquage ou une escroquerie. Surtout, on comptait un certain nombre de viols et de meurtres. Son profil était aujourd’hui clair : Lucas ne prenait pas plaisir à voler, il ne l’avait jamais fait que par nécessité, pour assurer son train de vie sans travailler, et pouvoir se déplacer partout en Amérique. Ce qui lui plaisait vraiment, c’était détruire.

Cela, oui, le mettait en émoi, faisait pétiller ses yeux et lui mettait sourire aux lèvres.

Face au diable, Downest se comportait en amoureux transi. Il ne lui faisait aucune infidélité.

Cette évidence avait pris longtemps, trop longtemps à être admise… ce qui avait fait défaut à l’enquête, car on s’était évertué à chercher un mobile là où il n’y en avait pas.

Il en avait été de même pour le mode opératoire ou les victimes ciblées. On avait d’abord supposé qu’il s’en prenait à des trentenaires, puis des retraités. On s’était dit qu’il visait surtout les quartiers populaires, puis on s’était penché sur les zones bourgeoises. On s’était persuadé qu’il tuait selon des rites sataniques, initiatiques, ou encore correspondant à un degré de maçonnerie. On avait pisté des sectes, établi des liens avec des ouvrages occultes. Tout cela en vain. Pendant ce temps, Downest se délectait.

Féru de psychologie et de littérature policière, il prenait un malin plaisir à brouiller les indices. Se faisant passer tour à tour pour fou de Dieu, terroriste islamiste, schizophrène ayant fréquenté divers asiles, victime manipulée par un gourou… Et rien de tout cela n’était vrai ! Toutes ces fausses pistes, Lou y avait d’abord cru et les avait étudiées. Puis, elle avait commencé à comprendre : son équipe s’égarait.

Elle cherchait une personnalité, un profil impossible à dessiner car le coupable ne se définissait par rien d’autre que par son amour du mal. Le mal, voilà bien une notion devenue ringarde, et cependant plus que jamais d’actualité. De nos jours, le mal n’existait plus aux yeux de beaucoup. On supposait plutôt des gens désespérés, esprits perturbés, passés douloureux prenant des formes inquiétantes bien des années plus tard. Bref, tout devait toujours s’expliquer, tout devait avoir une raison psychologique ou sociologique.

––

Pour lire la totalité de « Ange contre Démon », RDV sur mon espace KoboBooks ou ta plateforme favorite d’eBooks. Tu peux aussi mon travail en partageant cet article.

Laisser un commentaire